Politique et philanthropie
**Marc Jachym** , informaticien dans un laboratoire de recherche de l’Ecole normale supérieure de Cachan, revient sur la fondation de **Jacques Chirac** et le rôle ambigu des anciens leaders politiques reconvertis dans la bonne parole internationale.
Il semble que la fonction de chef d’État soit l’antichambre de la sagesse. C’est en tout cas une fonction qui, si elle ne permet pas toujours de peser efficacement sur le cours des affaires, confère à ses ex-détenteurs le statut envié de Sage. Mais quelle est la légitimité des déclarations d’hommes qui préconisent le contraire de ce qu’ils ont fait étant élus ou qui, ayant exercés les plus hautes fonctions, s’en remettent au bon vouloir philanthropique pour changer le monde ?
En France, où les anciens présidents de la République sont intronisés en sagesse officielle par leur participation au Conseil constitutionnel, c’est Jacques Chirac qui, dans un article publié par le journal Le Monde du 17 avril 2008, se place en expert de la lutte contre la récente crise alimentaire mondiale et la hausse des prix des denrées de base. On est alors en droit de s’interroger rétrospectivement sur son action politique, en tant qu’ancien ministre de l’agriculture, ancien premier ministre ou ancien président de la République. Or, durant ses mandats gouvernementaux, la politique agricole française et européenne fut une action univoque en faveur d’une augmentation de la productivité par l’industrialisation massive, les remembrements de parcelles, l’usage intensif d’intrants, l’élevage intensif. Au sortir de la seconde guerre mondiale il s’agissait d’en arriver à l’autosuffisance alimentaire mais à partir des années soixante-dix l’objectif est devenu de transformer l’agriculture en activité exportatrice. Or, avec les aides publiques aux agriculteurs européens et particulièrement français, ces exportations se sont révélées être une concurrence fatale aux productions vivrières des pays pauvres. Et cela n’est pas tout à fait compatible avec le positionnement actuel de Jacques Chirac qui, parlant de « l’autosuffisance alimentaire [comme] premier des défis à relever pour les pays en développement » , préconise la réhabilitation de leurs agricultures vivrières.
Autre exemple posant la question de la valeur de l’engagement politique : l’éloge de la philanthropie privée faite par l’ex-président américain Bill Clinton dans son livre Donner – Comment chacun de nous peut changer le monde (Odile Jacob, 2007). Pour Bill Clinton, lui-même à la tête d’une fondation de bienfaisance, le cas exemplaire est celui de son compatriote, le milliardaire Bill Gates, ex-président de la société Microsoft. De fait la fondation Bill & Melinda Gates est aujourd’hui le plus important bailleur de fonds pour la lutte contre les principales pathologies dont souffrent nombre de pays pauvres, en particulier d’Afrique : sida, tuberculose, paludisme. Ainsi, le financement de plusieurs importants projets dans le domaine de la santé pour le tiers-monde dépend d’une initiative privée suppléant aux carences des États et institutions internationales. Faut-il alors être moins regardant sur les pratiques anti-concurrentielles de la société Microsoft, pratiques qui ont été maintes fois dénoncées et lui ont valu de nombreux démêlés judiciaires tant aux États-Unis qu’en Europe ?
Dans l’optique de Bill Clinton et de sa louange de la philanthropie des gens riches, le sort de populations entières n’apparaît plus comme étant du ressort de l’action politique ou de la justice sociale, mais du bon vouloir d’hommes qui se seront préalablement enrichis avant de céder quelques milliards de dollars de leur superflu. Lors d’une cérémonie de donation où le milliardaire Warren Buffett « légua » une partie de sa fortune à la fondation de Bill Gates – ce qui toutefois ne l’a pas empêché d’être déclaré depuis homme le plus riche du monde juste devant ce dernier (selon le classement Forbes de 2008) – le financier vieillissant avait déclaré qu’il s’agissait là d’un « bon moyen d’entrer au paradis » .
D’autres exemples permettent cependant un plus grand optimisme quant à la sincérité et la cohérence sur le long terme de l’engagement d’hommes politiques. Citons Jimmy Carter, prix Nobel de la paix en 2002 pour son rôle de médiateur dans divers conflits. Mais, sur le terrain réel du monde, cet exemple même montre à quel point un processus de changement est long et incertain. Pour le reste, que ce soit les leçons de morale post-activité ou la récente et très nette dérive « people » de la vie politique telle que nous la connaissons, tout cela n’est hélas pas en mesure de rassurer.