Tout le monde sur le pont

Le sommet du G20, qui se tient le 15 novembre à Washington, sera l’occasion pour les grandes puissances de proposer leurs remèdes contre la crise. Syndicats et ONG se mobilisent également et présentent leurs alternatives. Un dossier à lire dans notre rubrique **Eco/Social.**

Thierry Brun  • 13 novembre 2008 abonné·es
Tout le monde sur le pont

Les déclarations des dirigeants des grandes puissances sont à la mesure du show médiatique qui se prépare à Washington le 15 novembre. Face à une crise économique et financière qui se propage dans le monde entier, ils ont lancé, Nicolas Sarkozy en tête, un appel retentissant en faveur d’une « profonde réforme du système financier international » . Aux grands maux les grands remèdes, car il s’agira de « refonder le capitalisme », des mots avancés par le turbulent président de l’Union européenne, un des initiateurs du sommet de Washington.
Le cadre des négociations sera donc le Groupe des 20, ou G20, un forum qui n’a aucune légitimité et dont le mandat politique n’a pas été défini, mais qui sera sous contrôle états-unien, comme le soulignent les altermondialistes d’Attac et les coalitions internationales d’ONG. Le poids économique des pays invités y sera déterminant dans les choix de réformes : le G20 représente à lui seul les deux tiers du commerce et de la population mondiale, et plus de 90 % du produit intérieur brut (PIB) du monde. Seuls les pays les plus riches de la planète ont voix au chapitre dans un forum qui a été créé en 1999 après une succession de crises financières dévastatrices.

Illustration - Tout le monde sur le pont


Shanta Lall Mulmi, secrétaire général de la plateforme des ONG népalaises, et l’écrivain David Gakunzi lors de la rencontre des ONG à Paris.
DR

À l’issue du sommet du 15 novembre, il ne faudra pas s’attendre à l’annonce de ­mesures concrètes. On ne les connaîtra pas avant février 2009, selon le vœu de la présidence française de l’Union européenne. Mais, plus inquiétant, le G20 n’a jusqu’à présent pas trouvé les bons ­remèdes aux débâcles financières. Dès 2000, les grands pays industriels « ont affronté une des plus grandes crises boursières de leur histoire, qui met un terme à l’euphorie de la “nouvelle économie” et porte au jour les fraudes qui l’ont accompagnée et nourrie » , ont constaté les économistes Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon dans un rapport prémonitoire [^2]. Surtout, la fréquence de ces crises s’est accrue depuis ­ « l’abandon des contrôles de capitaux » et le « renoncement aux changes fixes des monnaies au début des années 1970 ».
Ces économistes expliquent aussi qu’il n’y a pas de capitalisme sans crises finan­cières, et qu’il n’est pas surprenant que l’histoire soit jalonnée d’effondrements financiers catastrophiques ayant aggravé la pauvreté mondiale. Libéralisation des capitaux, déréglementation des marchés, concurrence effrénée entre zones de libre-échange ont accru les inégalités dans le monde et sont porteuses de risques dramatiques pour l’avenir de la planète. Ce que l’on nomme la mondialisation financière ou libérale constitue « l’une des menaces les plus importantes de l’histoire moderne pour l’économie mondiale » , selon les termes de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Pour tenter de sortir du naufrage du capitalisme contemporain, les 20 principales puissances de la planète devront donc « prendre la mesure de la situation historique que nous vivons » , a déclaré Dominique Strauss-Kahn, directeur du Fonds monétaire international (FMI), qui a proposé un plan de nouvelle gouvernance mondiale. Le sommet du 15 novembre servira à poser les ­principes d’une réforme très consensuelle. L’un de ces principes prévoit que le FMI, contrôlé par les États-Unis, qui ont un droit de veto, devienne la pièce centrale de la nouvelle architecture financière mondiale. Il sera question de renforcer le contrôle des marchés financiers, y compris les paradis fiscaux et les fonds spéculatifs. Mais d’autres principes très libéraux doivent aussi réaffirmer l’ouverture et la liberté des marchés, ce qui fait dire à une coalition mondiale d’organisations provenant de 104 pays, dans une « déclaration relative à la proposition de “sommet mondial” pour réformer le système financier international [^3] », que « le nouveau et antidémocratique “Consensus de Washington” ne réglera pas la crise ­mondiale [^4] » .

Le G20 sera donc fortement contesté par les altermondialistes et les coalitions planétaires d’ONG. « Les politiques poursuivies par les gouvernements du Nord, la Banque mondiale et le FMI au cours des trente dernières années ont échoué lamentablement, soutient Vitalis Meja, l’un des porte-parole de la déclaration. Et, maintenant, on veut corriger la situation en ­réunissant les représentants de 20 gouvernements dans la capitale américaine pour établir un nouveau “Consensus de Washington” » . Dans leurs « Messages du monde à l’Union européenne », des coordinations d’ONG exigent une gouvernance mondiale « enfin démocratique » et invitent l’Union à « revoir l’ensemble de ses politiques commerciales, agricoles, environnementales et économiques afin qu’elles contribuent à un véritable développement durable, au Nord comme au Sud, et à la lutte contre les inégalités » .

La présidence française de l’UE et le sommet du G20 sont l’occasion de nombreuses initiatives en France. Les principales ­organisations syndicales doivent se rencontrer le 24 novembre « pour construire des revendications à adresser aux pouvoirs publics et au patronat ». Elles ont condamné « toute politique de déréglementation et de dérégulation économique et sociale ». Reçues à l’Elysée avant le sommet du 15 novembre, les cinq confédérations syndicales ont dénoncé la politique de « dérégulation » suivie par Nicolas Sarkozy. Les organisations syndicales, politiques et associatives réunies dans le Collectif résistances et alternatives à la crise (Crac) ont, elles aussi, lancé un appel à la mobilisation et doivent présenter une série de propositions. Dans un document de travail, le collectif estime « nécessaire et urgent de mettre en œuvre une logique économique basée sur la satisfaction des besoins sociaux et la prise en compte des impératifs écologiques afin de construire une société plus juste et solidaire » . ­D’autres voies sont donc possibles.

[^2]: « Les crises financières », rapport du Conseil d’analyses économiques.

[^3]: « Consensus de Washington » renvoie à l’expression utilisée à la fin des années 1980 pour résumer les mesures libérales imposées aux pays en difficulté par les institutions financières internationales.

[^4]: La déclaration mondiale est disponible sur .

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