Les cinq reculs de Sarkozy

C’est un fait nouveau de la situation française. Le président de la République n’hésite pas à reculer pour éviter un mouvement social ou une fracture dans sa majorité. Petit inventaire de ses récentes reculades.

Denis Sieffert  et  Ingrid Merckx  • 24 décembre 2008 abonné·es

Depuis quelques mois, la réputation de Nicolas Sarkozy est sérieusement écornée. Le politicien bravache qui mène sa majorité à la hussarde, et se soucie comme d’une guigne de son opposition, connaît quelques déboires. Il apprend à ses dépens l’art de composer. Tout avait commencé au mois de septembre par les atermoiements, puis un recul dans l’affaire du fichier Edvige, qui, on s’en souvient, prévoyait notamment de mentionner la situation médicale des citoyens. Certes, les reculs sont parfois difficiles à interpréter. L’un des principaux conseillers à l’Élysée, Henri Guaino, a pu, par exemple, annoncer que l’ouverture du capital de La Poste était différée, avant que l’information ne soit contredite. Aujourd’hui, l’offensive contre La Poste se poursuit et s’intensifie. Il faut donc faire la part de la tactique – le fameux « ballon d’essai » – mais aussi de la confusion qui règne au sein d’une majorité souvent hétéroclite, et même d’une certaine lassitude qui monte de ses rangs. Non seulement les parlementaires de droite sont submergés par les textes (près de 90 en un an) qui leur sont soumis, mais ils sont souvent pris en contradiction entre l’idéologie qui vient de l’Élysée, et qui fait peu de cas de leurs états d’âme, et le pragmatisme, pour ne pas dire le clientélisme, auquel ils sont confrontés. L’affaire du travail le dimanche, finalement combattu beaucoup plus par des députés de la majorité que par l’opposition, est à cet égard édifiante. Quoi qu’il en soit, l’air du temps se bonifie un peu. Il est possible de faire plier Sarkozy. L’année 2009 s’annonçant rude dans le domaine social, la leçon de ces derniers mois est utile.

Illustration - Les cinq reculs de Sarkozy

Manifestation à Lyon, le 16 octobre, pour exiger le retrait du fichier policier Edvige. Ksiazek/AFP

TRAVAIL

Jamais le dimanche

Tout ça pour en arriver là ! C’est au mois d’octobre, dans son discours sur l’emploi de Rethel, que Nicolas Sarkozy relance la question du travail le dimanche. L’Élysée exige que le texte soit adopté avant Noël. Mais le président du groupe UMP à l’Assemblée, Jean-François Copé, se heurte rapidement à une fronde d’une partie des élus de l’UMP. Peu à peu, la proposition de loi Mallié est charcutée pour satisfaire les partisans comme les opposants au travail dominical. Au final, le texte prévoit l’ouverture le dimanche uniquement dans les zones touristiques, et là où « l’usage est constaté ». Autrement dit, on est à peu près dans le statu quo. Et ce sont surtout les opposants qui se réjouissent du « compromis ». Les autres enragent d’avoir été court-circuités par Nicolas Sarkozy lui-même, qui a fini par recevoir les frondeurs à l’Élysée. Originalité de l’affaire : ce n’est donc pas tant la gauche qui a imposé au chef de l’État un recul que sa propre majorité. Le tout sur fond de fronde généralisée. Les parlementaires de la majorité pensent, de plus en plus nombreux, que la multiplication des projets qui leur sont soumis procède d’une « confusion des priorités ».

JUSTICE

Diversion

« Je suis totalement hostile à la prison pour les mineurs de 12 ans » , a déclaré le Premier ministre le 5 décembre, désavouant sa ministre de la Justice et les recommandations de la commission Varinard mandatée par celle-ci. Deux jours plus tôt, Rachida Dati avait déclaré : « Dire qu’un mineur d’aujourd’hui peut justifier une sanction pénale à partir de 12 ans me semble ­correspondre au bon sens. » Le fameux « bon sens » dont Nicolas Sarkozy a fait sa ligne principale n’est visiblement pas le même pour tous les membres du gouvernement. Mais personne n’est dupe : peines planchers pour les mineurs récidivistes, généralisation de l’enfermement, peine de sûreté… Il n’est pas de décision prise par Rachida Dati qui ne découle de la lettre de mission présidentielle. Faut-il voir dans cette volte-face gouvernementale une première entaille à la surenchère sécuritaire qui frappe le pays depuis 2001 ? N’est-ce pas plutôt une manœuvre de diversion pour faire passer le vrai fond de la réforme : un renversement radical de ce qui fonde la justice des mineurs en France, soit la primauté de l’éducatif sur le répressif institutionnalisée par l’ordonnance de 1945 ? En refusant d’abaisser la majorité pénale à 12 ans, le gouvernement manifeste un changement de stratégie. Mais, en parallèle, il annonce un projet de loi sur la justice des mineurs pour juin 2009 et poursuit sur le terrain la réforme de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et des fonctions des juges pour enfants, déjà sommés d’abandonner la double compétence au profit d’un resserrement sur le pénal. La partition civil-pénal, victimes-délinquants est actée.

HÉBERGEMENT/LOGEMENT

Poudre aux yeux

C’est au nom du respect de « la liberté de chacun » que le Premier ministre a contredit sa ministre du Logement en affirmant : « Il n’est pas question d’obliger les SDF à rejoindre les hébergements d’urgence. » Fin novembre, à la suite du décès de plusieurs SDF dans les bois et dans les rues, Christine Boutin avait soulevé un tollé auprès des associations en proposant d’héberger de force les sans-abri dès – 6° C. Façon de prendre – par loyauté ? – au pied de la lettre les promesses de campagne de Nicolas Sarkozy, qui s’était engagé à ce que « plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid » à l’hiver 2008. Sur le front du logement, le plan de relance présidentiel pourrait laisser croire à des mesures « sociales » : doublement des prêts à taux zéro destinés à l’acquisition d’un logement neuf sous certaines conditions de ressources ; construction de 70 000 logements supplémentaires dans les deux ans ; des crédits supplémentaires pour quelques dizaines de milliers de logements insalubres ; et une rallonge de 350 millions d’euros pour la rénovation urbaine et de 240 millions d’euros en faveur du logement social. Ce que Nicolas Sarkozy ne précise pas, c’est, par exemple, que cette dernière somme ne compense même pas la baisse de 337 millions d’euros qu’implique la loi de finances 2009. Et qu’il avait décidé la construction annuelle de 500 000 logements, tous chantiers confondus, quand il en faudrait au moins le double pour le seul secteur social. Le plan de relance a pour seul objet de réveiller l’investissement cependant que le rapport Pinte sur l’hébergement d’urgence moisit dans un tiroir.

ÉDUCATION

Peur du syndrome grec

Des mois que Xavier Darcos campait sur ses positions, maintenant contre les enseignants, élèves et parents d’élèves mobilisés depuis le printemps, 11 200 suppressions de postes dans l’Éducation en 2008 et 13 500 en 2009, ainsi qu’une réforme du lycée lancée sans concertation. Or, le 15 décembre, veille d’une nouvelle journée de mobilisation, le ministre a annoncé le « report » de cette réforme. « Nous allons reprendre les choses à zéro » , a-t-il promis le 18 décembre, tandis 50 000 lycéens défilaient en France, 150 000 selon l’Union nationale lycéenne, qui a déclaré : « L’hiver sera chaud si le ministre ne nous écoute pas. » « Aujourd’hui, on voit bien que les circonstances nécessitent plus d’explications, que nous travaillions différemment. […] Mais nous ne changerons rien à l’objectif de réforme », a prévenu le ministre. Reculer pour mieux sauter ? Il n’empêche, Xavier Darcos a fini par modifier sa ligne. Que s’est-il passé ? Les manifestations de révolte des jeunes Grecs sont passées par là. La jeunesse dans la rue, ça fait toujours peur. Surtout dans une perspective de contagion des lycéens aux jeunes précaires non qualifiés et surdiplomés, en nombre aussi en France… Il y a eu, aussi, la confidence de Bruno Julliard : cet ancien président de l’Unef devenu responsable de l’éducation au PS, a raconté publiquement le 10 décembre que Nicolas Sarkozy l’avait assuré de son soutien contre Dominique de Villepin au moment du mouvement anti-CPE. Le 16 décembre, Nicolas Sarkozy a assuré que la réforme des lycées aurait lieu, mais en ajoutant qu’il fallait « prendre le temps de l’écoute et de la concertation » . Des termes qui font une entrée remarquée dans le lexique présidentiel.

FISCALITÉ

L’échec de l’amendement Marini

Officiellement, l’initiative ne venait pas du gouvernement, mais du sénateur UMP Philippe Marini. Le ministre du Budget, Éric Woerth, lui avait tout de même apporté son soutien en forme de litote : « Cet amendement n’est pas injuste. » Il s’agissait de supprimer l’avantage fiscal d’une demi-part accordé à un parent ayant élevé seul un enfant à charge, lorsque celui-ci atteignait 26 ans. L’amendement aurait pénalisé quelque 4,3 millions de personnes, en grande majorité des femmes de condition modeste. Devant les protestations du monde associatif, et en regard du contexte général, une commission mixte paritaire (Assemblée-Sénat) a annulé cet amendement le 15 décembre. Un recul évidemment inspiré par l’Élysée.

Politique
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