« Quelque chose de commun et de vital»

Les États généraux de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle se déroulent les 8 et 9 janvier à Paris. Catherine Bailhache* en expose ici la genèse et les objectifs.

Christophe Kantcheff  • 8 janvier 2009 abonné·es

Illustration - « Quelque chose de commun et de vital»

Réunir les différents métiers du cinéma.
Dufour/AFP

Depuis un an, il y a eu plusieurs mobilisations en faveur de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle. Quels en ont été les résultats ?

Catherine Bailhache : La première mobilisation a eu lieu en janvier 2008. Elle a été suivie en mars d’une intervention de Jeanne Moreau et de Mathieu Amalric lors de la remise des césars. En mai, nous avons tenu une conférence de presse à Cannes au cours de laquelle nous avons annoncé notre décision de pérenniser le Collectif. En juin, au sein du Collectif Sauvons la culture ! , dont nous sommes cofondateurs aux côtés de représentants d’un ensemble de secteurs culturels comme le théâtre, la danse, le cirque, la musique, nous avons coorganisé « le 21 juin, Boum ! » à l’appel des Têtes raides.
Provoquée par l’annonce brutale d’une baisse très conséquente de certains des crédits déconcentrés en Drac par le ministère de la Culture et de la Communication, cette constante mobilisation a d’emblée rassemblé les représentants de très nombreuses structures (près de 380) du territoire français dont on comprenait qu’elles seraient atteintes. S’y sont spontanément adjoints dès l’origine, individuellement ou au nom de leur propre structure, un grand nombre de leurs partenaires, ainsi que des personnalités venues d’autres secteurs de la culture.
Il faut dire qu’en projetant de supprimer une somme relativement peu importante à son échelle, mais essentielle à la nôtre, l’État touchait à quelque chose de commun et de vital. Vital pour les structures elles-mêmes, vital aussi pour la population d’un point de vue intellectuel, artistique, social, politique. Ensemble, nous avons alors mesuré à quel point, à travers cette décision, c’était, partout, une partie commune précise et précieuse de notre travail qui risquait de s’en trouver démantelée. En effet, que nous soyons producteurs, réalisateurs, distributeurs, comédiens, techniciens, responsables de festivals, de salles privées ou publiques, de ciné-clubs, d’associations d’éducation artistique, chercheurs, enseignants, et j’en passe, nous nous voyions concrètement menacés de ne plus pouvoir mener ce que nous nous accordons à nommer l’action culturelle, cette partie immergée de l’iceberg de notre travail, mais tournée vers tous, et dont les résultats se mesurent avant tout qualitativement et sur la durée , deux valeurs peu ou pas reconnues de nos jours.
Le Collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle (Blac) est né de ce constat et de la nécessité de se solidariser immédiatement face à cette menace. Le résultat en a été la réinjection d’une grande partie du budget initialement menacé de suppression, ce qui a permis à beaucoup de ne rien perdre d’essentiel sachant que, par ailleurs, une trentaine de festivals se sont trouvés rapatriés nationalement sur un autre budget au niveau du CNC.
Notons tout de même une perte moyenne officielle en 2008 d’environ 15 % du budget, sans transparence quant à la répartition ; plus grave, la disparition quasi complète des ECM (Espaces culturels multimédias), pourtant initiés par l’État il y a quelques années, et la disparition de festivals ou d’associations, parfois jugés modestes, pour lesquels les Drac [^2]
n’ont souvent rien pu faire, dont l’existence contribuait pourtant à la diversité culturelle qui caractérise notre pays…


Pourquoi aujourd’hui ces États généraux de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle ?

Nous l’avons imaginé dès le début ; nous n’avons jamais souhaité n’être qu’un organe de résistance. Ce qu’il faut dire, c’est que réellement, à l’occasion de cette mobilisation, nous avons tous compris qu’il est devenu indispensable d’affirmer haut et fort que l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, et plus largement d’ailleurs l’action culturelle tout court, est une notion réelle et efficace. Le fait qu’elle soit mal ou insuffisamment définie, et donc mal ou insuffisamment reconnue, la rend d’autant plus fragile et susceptible d’être démantelée. C’est pourquoi nous éprouvons l’absolue nécessité de procéder à une réflexion sur et autour de l’entité « action culturelle ».


Une des originalités de ce Collectif est qu’il fait voler en éclats les corporatismes des milieux du cinéma et de l’audiovisuel. Comment est-ce possible et sur quel mode d’action cela débouche-t-il ?

Oui, l’enjeu et la difficulté consistaient à faire exister de façon homogène, fluide et cohérente ce rassemblement transversal inédit. C’est l’un de ses intérêts majeurs, aussi bien en interne que face à ses interlocuteurs : de fait, le Collectif représente une entité en soi, transversale, avec laquelle il est impossible désormais de refuser d’échanger et d’avancer.
Mais il n’y a pas seulement les corporatismes. Les différents métiers du cinéma ont tous leurs spécificités, nombreuses et complexes. Cela rend ardue la recherche d’une homogénéité entre des gens qui doivent pour cela d’abord apprendre à mieux se connaître s’ils veulent mettre en place des alliances objectives pertinentes. Ce collectif, dont la forme définitive (simple collectif, association ?) n’est pas définie encore, est évidemment sans cesse sujet à écartèlement. Néanmoins, sa force réside dans le fait que ceux qui l’ont constitué sont à la fois conscients de ces difficultés et déterminés à les surpasser. Ça marche, simplement parce que chacun y met du sien : concrètement, en mettant la main à la pâte ; mentalement, en dépassant ses propres résistances tout en précisant la frontière entre son effort de solidarité et la préservation de sa propre indépendance.
Au-delà du fait que cela permet de constituer un groupe cohérent, reconnu comme tel, parlant d’une même voix et agissant au nom de mêmes valeurs, cela a pour effet immédiat quelque chose de très intéressant : pragmatiquement, les représentants de différents secteurs, qui jusqu’à présent ne le faisaient pas, se parlent et agissent ensemble quotidiennement sur toutes sortes de champs. Ce qui ne peut être sans conséquences.

L’un des axes de ces États généraux est de réfléchir à la notion même d’« action culturelle » pour éventuellement en dresser une charte. Pourquoi cette notion est-elle si compliquée à cerner ?

Ce que je vais dire n’engage que moi, et nous verrons si la réflexion collective le confirme : en vérité, cela ne me semble pas si compliqué. Je pense que nous sommes très nombreux à en avoir la pratique sans avoir jamais pris le temps de nous poser pour coucher sur le papier une définition satisfaisante et pédagogique. Disposant depuis toujours de peu de moyens, nous avons tous instinctivement privilégié… l’action.
J’ajoute que la notion d’action culturelle a tout à voir selon moi avec les notions de transversalité et de collectif, ce qui signifie que les conditions de sa définition et de sa visibilité sont maintenant réunies. À suivre, donc…

[^2]: En tant que représentantes de l’État sur le terrain, les Drac, notamment celles pourvues d’un conseiller cinéma, audiovisuel, multimédia, sont aujourd’hui les mieux à même d’apprécier valablement l’importance et la pertinence d’un soutien, y compris s’il s’agit d’allouer un montant de quelques milliers, voire quelques centaines d’euros (souvent qualifié au national, à tort selon nous, de « saupoudrage ») ; mais privées de 15 % de budget (hors ECM) alors même que leurs budgets d’origine étaient déjà serrés, elles ont dû faire des choix…

Culture
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