Talents de demain

L’Acid fête ses quinze ans de programmation à Cannes. Au long de ces années, beaucoup de découvertes. Entretien avec le cinéaste Pascal Deux sur le sens de cette présence sur la Croisette.

Christophe Kantcheff  • 14 mai 2009 abonné·es
Talents de demain

Depuis quinze ans, l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion propose sa programmation pendant toute la durée du festival. L’occasion, avec le réalisateur Pascal Deux, qui a présidé l’Acid de 2006 à 2008, et dont le documentaire Noble Art a été projeté à Cannes en 2003, de revenir sur le travail accompli par cette association de cinéastes, et de tirer un bilan de la présence de l’Acid à Cannes, dont Politis est, comme l’an dernier, partenaire.

Politis : Comment est née l’Acid et pourquoi ?

Pascal Deux I L’Acid est née en 1992 dans un esprit militant, avec des cinéastes comme Gérard Mordillat, Serge Le Péron, Robert Guédiguian, Jean-Pierre Thorn… Au début des années 1990, de nombreuses salles de petites et moyennes villes avaient du mal à avoir accès aux copies. Déjà, à l’époque, des films qui pourtant obtenaient de bons résultats en salles étaient rapidement « décrochés » des cinémas. Ce fut le cas notamment pour l a Petite Amie d’Antoni o de Manuel Poirier et Parfois trop d’amour de Lucas Belvaux.
Les cinéastes qui ont créé l’Acid se sont alors dit qu’il fallait se battre pour que ces films puissent être vus. Cela allait passer par une relation étroite avec des exploitants afin de sauvegarder et de développer la place du cinéma en régions. L’une des premières actions de l’Acid a donc été de générer des copies, via l’Agence pour le développement régional du cinéma, et d’en organiser la programmation. Sur ces copies, l’exploitant ne paye pas ce qu’on appelle le minimum garanti dû au distributeur.
De plus, l’Acid assure l’organisation de débats avec les réalisateurs. Progressivement, son travail a insisté sur la durée d’exploitation, l’objectif étant de lutter contre le « turn over » délirant des films et de permettre au bouche-à-oreille de fonctionner. Souvent, les films que nous soutenons ont de tous petits moyens de sortie. Donc pratiquement pas de publicité, peu d’accès au réseau généraliste des chaînes de télévision. Avec, en plus, la logique de juger de la carrière du film en fonction de la séance de 14 heures du mercredi de sortie, qui, si elle peut avoir du sens pour OSS 117, n’en a aucun pour des films qui passent parfois dans une seule salle et dont la seule affiche dans la ville est sur le fronton du cinéma. Ceux-là ont besoin de s’installer un peu plus dans le temps, et nous devons trouver des moyens pour mieux faire passer les informations sur les films. Il y a aussi un travail d’éveil à accomplir, d’ouverture du public à des œuvres différentes. Mais il y a encore un public pour ces films, il y a encore des cinéphiles curieux partout. Nous en avons la preuve chaque fois que nous accompagnons dans les salles des films que nous soutenons.

Dès 1994, l’Acid a décidé de présenter des films sur la Croisette. Pourquoi ?

Cannes est une formidable caisse de résonance. Les réalisateurs de l’Acid ont décidé d’y montrer des films qui les enthousiasmaient, mais qui, pour la plupart, n’avaient pas de distributeurs. C’est toujours la même logique qui préside aujourd’hui. Les projections de l’Acid sont destinées au public le matin, et prioritairement aux exploitants, aux programmateurs de festivals et aux distributeurs le soir. Et quand les exploitants manifestent leur intérêt pour un film, une dynamique peut s’instaurer qui va nous aider à lui trouver un distributeur. Ce qui arrive, selon les années, dans 80 à 90 % des cas. En général, le distributeur est trouvé dans les six mois qui suivent Cannes.

Que vous inspire la liste des premières programmations de l’Acid à Cannes, avec des noms de cinéastes qui, depuis, ont fait assurément leur chemin ?

Ce qu’on peut dire, d’abord, c’est que les cinéastes de l’Acid qui ont fait ces programmations ne se sont pas beaucoup trompés. Il y a une variété de réalisateurs – Alexandre Sokourov, Emmanuelle Cuau, Nicolas Philibert, Pascale Ferran, Malik Chibane, Jean-Daniel Pollet, Henri-François Imbert… – qui en étaient alors à leur 1er ou 2e film, et qui ont tracé des territoires de cinéma très différents. Beaucoup ont effectivement fait leur chemin depuis. Certains ont changé de « catégorie » en réalisant des films à plus gros budgets, comme les frères Larrieu, par exemple.

Plusieurs d’entre eux se sont ensuite retrouvés à la Quinzaine des réalisateurs, et certains en sélection officielle…

Oui, mais nous ne sommes pas dans une quelconque concurrence. La sélection de la Quinzaine, historiquement renommée, est chère à notre cœur, pour nous, réalisateurs, mais nous ne faisons pas le même travail. Comme je le disais, les films que l’Acid programme sont pour la plupart sans distributeur, et notre action sur ces films se poursuit après la période du festival, puisque nous les accompagnons plusieurs mois après leur sortie. Il s’agit aussi plus largement de dire et redire que de beaux films sont faits par des cinéastes passionnants, qu’ils ont leur place sur les écrans, et que les festivals doivent rester des lieux qui montrent les films les plus ambitieux, les talents qui feront le grand cinéma de demain.

On constate une ouverture aux films du monde entier dans la programmation. Comment l’expliquez-vous ?

Nous recevons de plus en plus de films de l’étranger tout simplement parce que le travail de l’Acid y est de plus en plus connu. Nous avons des partenariats avec une vingtaine de festivals et de lieux culturels à l’étranger. Les films que nous soutenons y sont montrés, et nous organisons le déplacement des réalisateurs. Partout où nous allons, les réalisateurs, producteurs et distributeurs nous disent combien ils nous envient cet outil formidable qu’est l’Acid, pour le travail de promotion des films sur le terrain, mais aussi pour la solidarité entre cinéastes. Il est donc normal que de plus en plus de cinéastes aient envie d’entrer dans cette grande famille…
L’actualité de l’Acid, c’est aussi la création de « l’Acid spectateurs »…
Aujourd’hui, un discours dominant veut laisser penser que le public a perdu toute curiosité, que les spectateurs ne sont que de simples consommateurs. Alors que c’est le système d’exploitation des films (rotation de « produits frais » pour justifier des cartes illimitées) qui ne laisse aucune place au temps de la découverte et du bouche-à-oreille. Tout au long de l’année, nous rencontrons dans les salles non des consommateurs mais des spectateurs avides de découvertes, c’est pourquoi nous avons décidé cette année de lancer un réseau de spectateurs Acid, que nous pourrons sensibiliser sur tel ou tel film avant leur sortie, sur le passage d’un réalisateur dans leur ville, et avec lesquels nous pourrons dialoguer autour des films et des enjeux de la diffusion.

Culture
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