La religion de la croissance ébranlée

Un collectif d’altermondialistes et d’organisations syndicales et environnementales salue la critique du PIB comme indicateur de progrès dans le rapport Stiglitz, mais veut aller plus loin.

Thierry Brun  • 9 juillet 2009 abonné·es
La religion de la croissance ébranlée

Ce très attendu rapport « provisoire » a nécessité dix-huit mois de travaux et deux prix Nobel, l’Américain Joseph Stiglitz et l’Indien Amartya Sen, des frais de transport importants et sans doute une empreinte écologique désastreuse… Mandatée en 2008 par Nicolas Sarkozy, la commission Stiglitz « sur la mesure de la performance économique et du progrès social » vient de livrer un premier diagnostic et des propositions qui ne sont pour l’instant disponibles qu’en anglais et ont donc peu de chance d’être débattues par les citoyens.
Les réactions n’ont pas tardé, puisque la commission a fixé un court délai de consultation qui laisse perplexes experts, altermondialistes, organisations syndicales et environnementales réunis autour d’un Forum pour d’autres indicateurs de richesse (Fair). La méthode employée par la commission, « tant pour l’établissement du rapport que pour la communication qui en est faite », a été vertement critiquée par ce collectif d’experts [^2], qui s’est constitué au lendemain de la mise en place de la commission Stiglitz et a présenté une note le 1er juillet. « La commission a travaillé en “chambre”, produisant des propositions non débattues » , estime le collectif, qui a donc appelé « l’ensemble des citoyens à réagir au prérapport ») et à relayer les analyses de Fair.

Le collectif, dont fait notamment partie l’économiste Jean Gadrey, également membre de la commission Stiglitz, a tout de même trouvé des motifs de satisfaction dans le rapport provisoire. Il se réjouit « que la Commission reconnaisse officiellement les limites du produit intérieur brut (PIB) comme indicateur de performance économique et de progrès social ». Président de la commission, Joseph Stiglitz a indiqué « publiquement que les instruments de mesure actuels nous avaient rendus presque aveugles, alors que les crises s’approfondissaient ».
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C’est un rapport « dont nous partageons largement les constats et qui marque un tournant historique » : Fair rappelle que les collectifs citoyens et réseaux de chercheurs *« dénoncent depuis des années le danger que représentent les indicateurs dominants, qui ne nous envoient pas les signaux permettant d’agir et de prévenir à temps les crises, et ne nous disent rien des inégalités, de la pression environnementale, ni des biens communs, ni, en somme, du bien-être pour tous, dans un environnement préservé et partagé ».

Mais ce rapport « ne peut constituer une sortie de la dictature du PIB », souligne aussi Florence Jany-Catrice, économiste ­membre de Fair. La commission a produit des propositions « qui présentent non seulement des insuffisances, mais aussi, à nos yeux, des risques majeurs » . Parmi eux : une définition du développement du­rable « déconnectée notamment des questions d’inégalités et de pauvreté, des enjeux de la démocratie, ou encore de la diversité sociale et de la diversité culturelle qui fondent pourtant la richesse et la spécificité de l’humanité ».
La note de Fair met en cause la notion de « bien-être individuel ressenti que chacun chercherait à maximiser » , et l’idée de tout monétariser avec un indicateur très capitaliste nommé « épargne nette ajoutée » . En conclusion, le collectif affiche sa préférence pour un autre rapport – sur les indicateurs du développement durable et l’empreinte écologique –, publié récemment par le Conseil économique, social et environnemental , et compte amender le fond et la forme du rapport Stiglitz. S’il est entendu…

[^2]: Fair a le soutien de la CFDT, de la CGT, de Solidaires, des Amis de la Terre, du WWF et de la Confédération générale des scop (coopératives de production).

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