Les profs prêts à désobéir

Cette rentrée scolaire 2009 s’effectue dans un climat d’inquiétude. Le gouvernement ayant décidé de poursuivre des réformes très contestées, le mouvement « désobéisseur » s’étend. Face aux suppressions de postes et aux dérives libérales, les profs veulent affirmer les valeurs de leur métier.

Ingrid Merckx  • 27 août 2009 abonné·es
Les profs prêts à désobéir

Extrait du discours tenu par le Président le 22 juin devant le Congrès à Versailles : « Quand on ne met pas de moyens suffisants dans la lutte contre l’exclusion, quand on ne veut pas investir dans les internats d’excellence, quand on ne veut pas investir dans les écoles de la deuxième chance, quand on n’a rien à proposer entre 16 et 18 ans aux jeunes qui sortent de l’école sans diplôme, sans formation, sans perspectives, quand on perd la trace des enfants en difficulté qui se trouvent de facto exclus du système scolaire avant d’avoir achevé leur scolarité obligatoire parce que l’on n’a pas de structures adaptées pour eux, on ne fait pas des économies. On prépare une augmentation considérable des dépenses futures parce que l’on paiera très cher le coût de cette désocialisation. »

Mis à part le fait que les élèves ne sont appréhendés ici qu’en termes de coût, au moins le raisonnement va-t-il, à première vue, dans le bon sens : investir maintenant sur l’école pour ne pas payer plus tard les conséquences d’un manque d’engagement de l’État. On aurait donc pu s’attendre à ce que Luc Chatel, nommé ministre de l’Éducation dans la foulée, le 23 juin, mette des moyens dans l’enveloppe école. Rompant ainsi avec les mesures d’économies drastiques engagées par son prédécesseur, Xavier Darcos, lesquelles ont déclenché une année de mobilisation dans les établissements du primaire au secondaire. Ce mouvement exemplaire a été marqué notamment par des occupations pacifiques d’établissements, les parents rejoignant les enseignants, les personnels et les élèves. Mais rien n’y a fait : «  En dépit de quelques reculs qui lui ont été imposés, le gouvernement poursuit à tous les niveaux sa politique régressive en matière d’éducation, notamment en matière de suppressions de postes » , déclarait, le 3 mars, « L’éducation est notre avenir », un collectif constitué de 25 organisations, dont les Cemea, la FCPE, la Fidl, la FSU, la Ligue de l’enseignement, SUD-Éducation et l’UNL. La rentrée 2009 sera-t-elle plus tendue encore que la précédente ?

Si l’économie semble être la matière la plus en vogue dans les hautes sphères, comment comprendre le prévisionnel de la rentrée 2009 ? Le chef de l’État a-t-il réellement anticipé la « dépense future » que représentent 13 500 suppressions de postes, après 11 200 en 2008 et avant les 16 000 prévues en 2010 ? 5 000 départs d’auxiliaires de vie scolaire (AVS) qui accompagnent les jeunes en situation de handicap ? 30 000 non-renouvellements d’emplois aidés dans l’éducation (EVS) ? 9 000 suppressions de postes Rased à étaler sur trois ans ? 14 000 postes d’enseignants stagiaires en moins ? 1 000 élèves entrant au lycée à Paris sans affectation début juillet du fait du manque de moyens ? Des chiffres auxquels il faudrait ajouter le coût, financier mais aussi symbolique, de mesures telles que la réforme du recrutement des enseignants, assortie d’un appauvrissement de leur formation ; la réforme du lycée deuxième version ; le passage du bac professionnel en trois ans au lieu de quatre avec la suppression des BEP ; la réduction du nombre d’heures d’enseignement hebdomadaires ; la substitution de jardins d’éveil à la petite section de maternelle ; l’insuccès des heures supplémentaires et du service minimum d’accueil…

Loin de vouloir apaiser les colères déclenchées par Xavier Darcos, Luc Chatel, également porte-parole du gouvernement, a annoncé tout de go qu’il poursuivrait les réformes engagées. Et il a choisi de consacrer ses premières déclarations à une étude sur l’absentéisme des enseignants. Sous-entendu : les profs ne travaillent pas assez, c’est d’ailleurs pour cela qu’on supprime des postes. Alors qu’il faudrait peut-être réformer le système de répartition des postes et des enseignements. Le 1er juillet, Luc Chatel a reçu un appel signé par 63 organisations (accessible sur le site de la Coordination nationale Formation des enseignants), l’engageant à suspendre la réforme de la formation des maîtres. Cependant que le mouvement des désobéisseurs, qui rejettent les nouveaux programmes et refusent les critères d’évaluation, compte au moins 3 000 membres et prend de l’ampleur. Le ministère communique à tout va sur les économies, mais il ne dit pas combien a coûté le rapport Descoings sur le lycée, commandé au directeur de Sciences-Po-Paris pour remplacer celui de Xavier Darcos. Tout cela n’est pas qu’une affaire de portefeuille : derrière les chiffres, il y a des gens. Des enseignants, notamment, qui voient avec inquiétude l’école se dégrader.

Publié dans le dossier
Les profs prêts à désobéir
Temps de lecture : 4 minutes