Hortefeux, le racisme, Borloo, la transparence dangereuse et la foire aux images qui tuent ou blessent

Il ne suffit pas de dire que Brice Hortefeux est raciste puisque c’est de notoriété publique. Il faut aussi se poser des questions sur les ravages de la transparence absolue que prônent les politiques et que réclament des citoyens irresponsables qui ne voudraient évidemment pas qu’elle s’appliquent à eux.

Claude-Marie Vadrot  • 17 septembre 2009
Partager :

Que monsieur Brice Hortefeux, fils de banquier et étudiant sans diplôme de Sciences Pô, ait un fond raciste qui ressort de temps à autre, qu’il ait exprimé et exprime encore son mépris des étrangers dans ses deux fonctions ministérielles successives, que son activité de ministre de l’Intérieur soit exclusivement répressive et s’accorde parfaitement à ses aspirations et à son idéologie, qu’il soit l’ami à tout faire du Président depuis 1976, que le personnage soit en plus l’un des moins (humainement parlant) « sympathique » dans un gouvernement où la concurrence est pourtant rude, tout cela ne fait aucun doute. Pas plus qu’il n’est possible de contester que ce beauf a proféré une plaisanterie raciste sans même se rendre compte à quel point elle en était offensante, tant elle traduisait sa ### nature.

Mais le problème n’est pas là ou plutôt, pas seulement là.

On ne peut pas comme je le fais depuis des années s’élever contre une « société de surveillance » dans des livres et des articles, sans se poser des questions sur la dictature de la propagation des images et sur la notion cette transparence que chacun est disposé à appliquer… aux autres. En 2007, dans un dernier bouquin sur le sujet, j’écrivais notamment…

« Nos quartiers et nos villages ne vivent plus à l’heure des rumeurs mais à celle des fausses certitudes qui courent la Toile. A l’heure aussi des caméras et des ordinateurs d’Etat ou de mairie qui nous suivent, nous classent, nous répertorient et nous surveillent. L’informatisation n’est rien d’autre qu’un instrument totalitaire qui, d’un jour ou d’une année à l’autre, peut servir à verrouiller un pays. Sans rien changer ; ou si peu. Il suffira de faire sauter les dernières inhibitions, les derniers garde-fous, d’admettre officiellement le croisement en cour de tous les fichiers, de toutes les images, de toutes les mémoires, et la liberté ne sera plus qu’un souvenir. Ou une illusion. Le coup d’Etat s’accomplira sans qu’un seul coup de feu soit tiré ».

A propos des caméras devenant omniprésentes dans les rues, j’écrivais entre autres : « la vidéosurveillance s’est transformée en placebo universel à guérir les angoisses. Celles des administrés réfugiés dans leurs insécurités mentales et celles des maires, les yeux fixés sur les résultats des enquêtes locales de sécurité. Il ne faut jamais oublier que dans vidéosurveillance il y a d’abord surveillance ». J’expliquais, et je reste aujourd’hui convaincu de la justesse angoissante de cette explication, que la vidéo à tous les coins de rue n’était en fin de compte que la version la plus aboutie de la télé-réalité, de l’illusion que l’image sur le petit écran permet de pénétrer la « vraie vie » des gens, de les surveiller, de capter et comprendre la moindre de leurs attitudes. L’écran remplace la vie, y compris dans les réserves naturelles où une partie du public préfère regarder les écrans où apparaissent les oiseaux grâce à des caméras plutôt que d’aller les voir sur place. Dictature et sacralisation de l’image qui remplace ou raconte la réalité. Comme le montre cette « avancée » pour l’instant propre à la seule Grande-Bretagne : dans des quartiers ou des petites villes, des habitants payent un abonnement pour avoir libre accès aux images en direct –ils n’ont qu’à …changer de chaîne- de leur quartier, en prise avec leur télé-réalité quotidienne, avec ce que font les voisins et ceux que l’on connaît. Plus besoin d’écarter le rideau derrière une fenêtre à la perspective limitée : les caméras offrent quelques dizaines de fenêtres aux abonnés ; Les mêmes sans doute qui achètent en magasin des vidéos rassemblant le « meilleur » des séquences de rues enregistrées par les sociétés qui assurent les techniques de surveillance.

Il y a quelques jours, lors de la conférence de rédaction de Politis , alors que nous évoquions ce sujet et quelques autres nous remarquions que certaines de nos plaisanteries, tronquées et diffusées à la télévision ou sur la Toile pourraient nous valoir bien des déboires ou véhiculer une fausse image de ce que nous pensons ou disons. Idée terrifiante que cette peur naissante d’une image, volée ou non. L’on a longtemps dit qu’avec un seul mot ou une seule phrase d’un homme ou d’une femme il était possible de les faire pendre. Désormais, c’est avec une image.

Je me pose donc des questions sur cette dictature de l’image qui vole et se duplique à l’infini sur la Toile. Contestation non pas de l’outil mais des malades ou des inconscients qui peuvent jouer avec. Nous devons nous demander quelles seront à terme les conséquences de cette télé-réalité du quotidien : qu’elle concerne une adolescente qui s’est imprudemment déshabillée devant un portable, un môme qui fout une baffe à un autre, un automobiliste qui fait un bras d’honneur à un autre, un ministre qui dit une grosse connerie, un homme politique qui profère une plaisanterie ambiguë ou un passant qui en jouant, fera mine, d’en empoigner un autre parce qu’il a retrouvé un vieux copain. Sous l’oeil d’une caméra de surveillance. Tout devient image, tout devient image pour les autres, exploitable par les autres.

Or, les images peuvent mentir ou tromper plus efficacement encore que les mots. Tout comme les mots sur les images qui n’existent pas mais font encore plus fantasmer que leur réalité: ainsi la fameuse séquence qui aurait montré Jean-Louis Borloo bourré sur les marches de l’Elysée et aurait été détruite immédiatement n’a jamais existé. Comme le montrent d’autres images prises, j’en ai la certitude personnelle, au même moment par des caméras de France 3. Comme quoi la folie des images qui tourbillonnent, apparaissent et disparaissent sans aucune garantie ni contextualisation, ne fait que nourrir toutes les paranos. Il y a les images qui tuent parce qu’elles existent et celles qui tuent parce qu’elles n’existent pas, réduisant à néant le droit du ministère de l’Ecologie à boire un bon coup de temps en temps. Mais, il ne faudrait quand même pas, même si cette remarque peut paraître contradictoire car le sujet n’est pas simple, que les hommes politiques de droite et aussi souvent de gauche viennent se plaindre à nous et à tous d’être les victimes de la transparence qu’ils cherchent à nous imposer dans la rue et ailleurs « ### pour notre bien ». Logiquement, après l’affaire des Arabes-Auvergnats Brice Hortefeux devrait annoncer l’annulation de tous les projets de vidéosurveillance, en commençant par ceux de Paris. Mais il est à craindre que la transparence cela soit toujours pour les autres.

Reste que le problème du dérapage d’Hortefeux et de tous les autres pose une autre question : le refus de diffusion, la timidité des chaînes de télé vis à vis des séquences douteuses qu’elles captent, alors qu’elles pourraient les diffuser tranquillement en les replaçant dans leur contexte, en les expliquant.

Cela s’appelle tout simplement le journalisme.

Si vous avez vraiment envie de passer à la télé, un seul conseil, attrapez la grippe ! C'est le must du buz en ce moment (je veux dire ce qu'on fait de mieux en terme de notoriété)
Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 6 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don