Un vaisseau dans la tourmente

Les hôpitaux publics risquent engorgement et surcoûts dans l’hypothèse d’une grande pandémie. À Rodez, en Aveyron, on se prépare depuis plusieurs mois à un scénario de crise.

Ingrid Merckx  • 3 septembre 2009 abonné·es

Un vaisseau amiral à Bourran. C’est ainsi que l’on présente le nouvel hôpital Jacques-Puel, qui a ouvert ses portes à l’automne 2006 à Rodez, faisant déménager les services de l’ancien dans ce quartier qui attire les investissements immobiliers. En Aveyron, l’un des départements les plus étendus de France, il y a aussi un hôpital à Decazeville, un à Millau, et un hôpital de proximité à Saint-Affrique. Mais celui de Rodez est le plus grand, avec 410 lits, et le plus équipé : c’est le deuxième plateau technique de Midi-Pyrénées, son service de médecine interne-maladies infectieuses est l’un de ses services phares, et il est le seul du département à être pourvu d’un service de pédiatrie. « Or, le virus qui sévit touche surtout les jeunes » , souligne Fabienne Langlais, directrice adjointe « qualité, clientèle et communication ».

C’est pourquoi c’est cet hôpital qui coordonne l’action antigrippe en Aveyron. En milieu rural, les risques de propagation d’un virus sont forcément moins importants que dans une grande ville. Mais le bassin de santé du Nord-Aveyron ­couvre plus de 200 000 habitants, et déborde sur le Cantal et la Lozère. Il faut pouvoir ­soigner tout le monde. «  Sur le plan médical, rien à craindre de cette grippe si le virus n’évolue pas et si l’on arrive à encaisser l’afflux de patients, analyse Bruno Guérin, chef du service médecine interne-maladies infectieuses. Le gros risque pour l’instant, c’est un engorgement des services de santé. Déjà à flux tendus, les hôpitaux ne sont pas prêts à recevoir ne serait-ce que 5 % de patients en plus » , résume ce médecin qui a pris la tête du plan de lutte local contre la pandémie.

L’hôpital de Rodez se prépare depuis le mois d’avril. « C’est la médecine de ville qui prend en charge les personnes grippées. À l’hôpital, ne devraient arriver que les cas graves, rappelle Fabienne Langlais. Mais nous sommes aussi centre de consultation dédié, c’est-à-dire que nous avons ouvert fin juin un service spécialisé sur la grippe qui est prêt à fonctionner en permanence. » Trois groupes de travail ont été montés dans cet hôpital. Le premier se charge d’anticiper la déprogrammation d’activités : « Si l’on veut libérer des lits, il faut faire de la place ailleurs, explique Fabienne Langlais, notamment en réanimation, en soins intensifs et en chirurgie. Que faire des autres patients ? Cela a aussi des incidences sur les consultations et les emplois du temps du personnel. » Le deuxième groupe de travail planche sur le redéploiement des équipes : « Qui peut passer d’un service à l’autre ? Comment former le personnel d’accueil à répondre sur la grippe ? Qui, dans nos salariés, notamment infirmiers et spécialistes de réanimation, partis récemment à la retraite, serait prêt à revenir en renfort ? » , liste la responsable. Le troisième groupe s’est attelé aux questions de logistique : comment faire si les transports sont bloqués ? Comment mettre en place un covoiturage ? « En phase d’alerte maximale, on isole l’hôpital et on met en place une tente “poste médical avancé” à l’entrée pour “trier les patients” et limiter les contaminations. Mais si on fait tourner des équipes sur place en permanence, il faut aussi prévoir de quoi équiper, loger et nourrir tout le monde, c’est-à-dire préparer la cantine, la blanchisserie, les transports internes…, énumère encore Fabienne Langlais, et puis il y a toute la question des stocks de médicaments et de matériel de protection : masques, combinaisons… »

En niveau 5 d’alerte, la situation semble parfaitement maîtrisée. D’autant qu’aucun cas de grippe grave ne s’est encore signalé dans cet hôpital : « Nous avons eu une suspicion de cas groupés et donc dû procéder à des prélèvements, précise Fabienne Langlais, mais c’était une fausse alerte. Les prélèvements ne sont plus systématiques. Heureusement, car nous, nous devons les envoyer en véhicule spécial dans un laboratoire à Toulouse… » Pour l’instant, la grippe, dans cet établissement, c’est surtout du travail en plus. Mais une question, pourtant posée aux autorités, reste sans réponse : « Comment prend-on en charge le surcoût dans l’hypothèse d’une pandémie ? » , interroge la directrice adjointe. Idem pour tous les hôpitaux. « On fait avec les moyens du bord. On prévoit 40 % d’absentéisme, certains peuvent avoir à s’absenter pour garder leurs enfants. Pour l’instant, tout va bien. On a pris le temps de s’organiser… Et si la pandémie est moins féroce que prévu, on se sera pourvu d’un plan d’action du tonnerre ! » , positive Fabienne Langlais.

Mais quid de la campagne de vaccination ? Et du manque à gagner en cas de fuite de patients « déprogrammés » ? Et si le virus mute et grimpe en morbidité ? « Les hôpitaux sont obligés d’anticiper à l’excès, mais s’il y a 30 % de malades supplémentaires, on sera forcément dépassés, redoute Bruno Guérin. De même, si le virus se marie et atteint une morbidité du type grippe aviaire. Mais on n’en est pas là… »

Publié dans le dossier
Inégaux face à la grippe
Temps de lecture : 5 minutes