Gentlemen contre hooligans

Si l’Angleterre a longtemps connu des violences lors des matchs, la restructuration des stades et le prix des places ont imposé un autre type de spectateur. Sans passion.

Jonathan Watson-  • 12 novembre 2009 abonné·es

Le football anglais a beaucoup évolué depuis les années 1980. Du côté des supporters, le changement principal, c’est l’embourgeoisement. La raison principale est simple : le prix des places. Pour la saison 1989-1990, le prix moyen d’une place à Old Trafford, célèbre stade de Manchester United, s’élevait à 4,71 livres, soit soit une quarantaine de francs. Le prix moyen pour Liverpool était de 5,41 livres, et pour Arsenal, à Londres, où tout est plus cher qu’ailleurs, c’était 6,71 livres. Les places les plus économiques, dans les tribunes, coûtaient moins cher encore. Les clubs ne communiquent pas sur le prix moyen des places, mais ils ont augmenté leurs tarifs de plus de 600 % depuis 1990. Les places les moins chères aujourd’hui à Arsenal coûtent 35 livres (39 euros). Les plus coûteuses atteignent presque 80 livres (89 euros).

Le changement s’est produit un après-midi d’avril 1989, quand 96 supporters de Liverpool ont trouvé la mort au vieux stade de Hillsborough, écrasés dans les tribunes par la pression d’autres supporters. L’enquête officielle qui a suivi cette tragédie (le célèbre « Taylor report ») a recommandé la modernisation des stades. Il a fallu remplacer les tribunes par des places assises. Résultat : moins de places et une augmentation des prix, qui a radicalement changé la composition du public. Celui-ci est maintenant plus riche et plus âgé. Beaucoup se plaignent du manque d’ambiance pendant les matchs, qui ne sont plus les chaudrons d’autrefois. « Quelquefois, on se demande s’ils comprennent le football », estimait Roy Keane, capitaine de Manchester United, après une piètre victoire de son équipe à Old Trafford. Les supporters mancuniens ont trouvé peu de choses à admirer pendant la rencontre et sont restés plutôt muets. « À l’extérieur, nos fans sont fantastiques, on pourrait dire que c’est le noyau dur, ajoutait-il. Mais, à domicile, ils prennent quelques verres et probablement des sandwiches aux crevettes. Ils ne se rendent pas compte de ce qui se passe sur le terrain. »

À Arsenal, les supporters visiteurs estiment depuis longtemps que l’ambiance ressemble à celle d’une bibliothèque plutôt qu’à celle d’un stade. « Highbury library ! » , chantaient-ils, moqueurs, avant le déménagement du club pour un stade flambant neuf, il y a trois ans, à l’Emirates Stadium (empruntant le nom de la compagnie aérienne Fly Emirates, sponsor du club et principal financeur du stade).
Les clubs ne se plaignent pas de ce manque d’ambiance. Ils sont satisfaits de ce nouveau public, prêt à payer des prix ahurissants et plus disposé à dépenser de l’argent dans les kiosques garnissant le stade. Et, à vrai dire, personne n’a envie de retourner aux années 1970 ou 1980. En ces années, pour aller à un match, il fallait du courage. Presque chaque semaine, c’était une bagarre ou l’invasion du terrain par les supporters. Cette culture d’agressivité a culminé avec la tragédie du Heysel, en mai 1985. Nombre de supporters ont juré alors de ne jamais retourner dans un stade. Le drame hante encore les esprits.

Il n’empêche. Les hooligans, même minoritaires, sont toujours là. Il y a quelques semaines, un match de Coupe de la ligue a donné lieu à des affrontements entre supporters de Millwall et de West Ham, à ­Londres. Les altercations ont commencé deux heures avant le match et se sont poursuivies cinq heures plus tard. Un supporter a été poignardé. Pendant la rencontre, les supporters sont entrés à trois reprises sur le terrain. Pour qui aime le football, on aimerait bien encourager « l’ancien » public à revenir au stade. Mais pas à ce prix-là.

Publié dans le dossier
La tribu des supporters
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