L’État ne lâche pas les paysans basques

Depuis cinq ans, Laborantza ganbara subit les attaques des pouvoirs publics et de l’administration. Cette association qui défend une agriculture durable est accusée d’agir comme une chambre d’agriculture occulte.
Débouté en mars 2009, l’État persiste à demander une sanction : jugement en appel le 18 février.

Patrick Piro  • 11 février 2010 abonné·es
L’État ne lâche pas les paysans  basques
© Photo : Rafoto

On reste incrédule devant l’imposant pavé : près de sept cents pages relatant cinq années de chicanes, de pressions et de procédures, souvent illégales. Le tourmenteur, ce sont les pouvoirs publics et l’administration, avec le préfet des Pyrénées-Atlantiques dans le rôle principal. Et le harcelé, l’association Euskal herriko laborantza ganbara (EHLG), qui vient de rendre publiques toutes les pièces à conviction dans un Livre noir . En jeu : sa survie, alors que l’État demande, dans un appel qui sera examiné le 18 février à Pau, la sanction d’EHLG pour usurpation des prérogatives de la chambre d’agriculture du département.
Laborantza ganbara a été créée en 2005 par ELB, syndicat de paysans basques affilié à la Confédération paysanne, pour soutenir une agriculture durable et familiale : une forte tradition locale, fondée sur le petit élevage de moyenne montagne et des cultures diversifiées, concernant 40 % du département. Bien que cette spécificité ait été officiellement reconnue, ELB s’estimait marginalisé par la politique agro-industrielle, favorable aux grands cultivateurs de maïs de la plaine béarnaise, que mène depuis des décennies la chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques.
Cette dernière a rapidement vu rouge : Euskal herriko laborantza ganbara signifie « chambre d’agriculture du Pays basque ». En 2005, le préfet du département dépose une plainte. ­L’association risque la dissolution pure et simple [^2] ; mais c’est l’État qui est sèchement débouté, le 26 mars 2009. Le tribunal de grande instance de Bayonne juge que, si EHLG poursuit des objectifs similaires à une chambre d’agriculture, la dénomination basque n’est pas coupable (c’est l’intitulé français qui est protégé), et l’association n’empiète pas sur le domaine réservé de l’institution.
L’État fait pourtant appel. À la surprise de l’association, qui divulgue aujourd’hui la saga de cinq années d’une guérilla systématique destinée à l’étrangler.

C’est édifiant : dès 2005, les représentants de l’État se sont permis d’agir en « justiciers », comme si l’association était de facto dans l’illégalité. Perquisitions, saisies, enquête sur les comptes feront pourtant chou blanc. Les municipalités qui votent des aides financières à EHLG subissent des pressions. Sur ordre du préfet, des collaborations et contrats engagés avec divers organismes avortent ; des dossiers de subventions sont bloqués – même après le verdict du 26 mars 2009 ! Laborantza ganbara subit systématiquement l’ostracisme des commissions et groupes de concertation officiels.

Autre front : l’administration fiscale. « Tour à tour, le centre des impôts de Biarritz, puis la direction des services fiscaux des Pyrénées-Atlantiques, enfin le ministère des finances et du budget se sont relayés pour faire le siège d’EHLG », indique le Livre noir. On refuse à un sympathisant sa réduction d’impôt pour un don à l’association, dont l’éligibilité même à cette disposition est attaquée. À trois reprises, les tribunaux renverront les services fiscaux dans les cordes, pour actions infondées. L’État n’en a toujours pas payé les frais de justice à EHLG…
Les entraves ont aussi pour théâtre la région Aquitaine, dont le préfet mène bataille pour exclure Laborantza ganbara de dispositifs auxquels elle est éligible – pour une agriculture respectueuse de l’environnement ou la gestion de l’eau, notamment. Ce contentieux est en attente de jugement par le tribunal administratif de Bordeaux.
« Quelle association a déjà subi un tel acharnement ? C’est à peine croyable, s’élève Jean-Noël Etcheverry, ­membre de l’assemblée plénière d’EHLG. C’est la chronique de milliers d’heures de travail perdues à repousser des attaques sans fondement, et qui nous pénalisent lourdement par la perte de contrats. Si nous n’étions pas fortement soutenus ici, et si nous n’étions pas défendus gratuitement, nous serions morts depuis longtemps… »

Car l’association est plébiscitée, au Pays basque et même au-delà, pour la qualité de son travail. Elle dispose du soutien politique d’un millier d’élus locaux, toutes tendances confondues, et 7 000 personnes ont signé une pétition de solidarité. Il y a un an, le conseil régional, à majorité socialiste, octroie une subvention de 96 000 euros à EHLG – en dépit des pressions du préfet. Même le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, tenu par l’UMP et longtemps hostile, a fini par rejoindre le camp des supporters, en votant une aide de 25 000 euros en décembre dernier.
À la suite de la relaxe du 26 mars 2009, la préfecture a fait mine de chercher une solution en convoquant Laborantza ganbara et la chambre d’agriculture, lors de deux réunions tenues secrètes. Un simulacre. « Nos interlocuteurs se sont comportés comme s’ils avaient gagné, nous proposant en quelque sorte de rentrer dans le rang en échange d’un retrait de l’appel » , relate Jean-Noël Etcheverry. À savoir : obtenir que les élus d’ELB reviennent siéger à la chambre d’agriculture (qu’ils ont désertée depuis des années en signe de protestation), qui pourrait rechercher des solutions spécifiques à ­l’agri­culture basque. « Bref, les mêmes propositions qu’il y a trente ans et qui n’ont jamais rien donné. »
Les paysans basques, de leur côté, maintiennent leur demande de création d’un établissement officiel distinct pour l’appui à leur agriculture, ou, à défaut, qu’on laisse EHLG vivre en paix.

Pour l’audience du 18 février, l’association a reçu le soutien de personnalités morales comme Stéphane Hessel ou Michel Tubiana (voir ci-contre). Contacté, le cabinet du préfet se contente de répéter l’antienne de 2005 : « Laborantza ganbara veut dire chambre d’agriculture, et il ne peut y en avoir qu’une par département. » Argument déjà invalidé au fond par le tribunal de Bayonne : on cherche en vain qui pourrait convaincre la cour d’appel de Pau de le déjuger.

[^2]: Voir Politis n° 1034.

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