« État d’élue », Luc Decaster : Héroïne politique

Luc Decaster
dresse le portrait
de Françoise Verchère dans « État d’élue »,
film sensible et civique.

Christophe Kantcheff  • 4 mars 2010 abonné·es

État d’élue commence sur une absence : la photo du mari de Françoise Verchère, récemment disparu. Quelque chose de la perte plane plus généralement sur le film de Luc Decaster. En effet, Françoise Verchère, qui est aussi vice-présidente du conseil général de Loire-Atlantique, démissionne de son poste de maire de Bouguenais. Elle a également quitté le PS, qu’elle ne trouve pas assez à gauche et écologiste. Quand Luc Decaster vient la filmer – et bien entendu il n’a pas choisi ce moment-là par hasard –, Françoise Verchère est dans un mouvement de reflux. Elle avoue ne plus avoir la même énergie qu’auparavant, parce qu’elle a perdu « l’illusion » , dit-elle, de pouvoir véritablement améliorer les choses.

Et pourtant. Et pourtant la femme qui tient ces propos illumine l’écran de sa sincérité et de sa ténacité à se battre pour un monde plus juste et plus respirable. Dans l’exercice de son travail d’élue, Françoise Verchère est un de ces grains de sable qui cherchent à renverser le rapport de force en faveur des plus faibles, à empêcher les intérêts particuliers d’occulter l’intérêt général. Sur le marché, dans la rue, face à des habitants mobilisés pour leur seul pré carré, autant que devant des technocrates étriqués ou les autres élus du conseil général, Françoise Verchère argumente inlassablement, et laisse parfois s’exprimer son tempérament entier et passionné sous la forme d’une pique ou d’un mot d’humour bien senti. Cette élue-là, c’est incontestable, a du talent.

État d’élue devrait passer en prime time sur une chaîne de la télévision hertzienne. Le film a une « héroïne », n’est pas dénué d’émotions et sert l’esprit civique. Il pourrait aussi réconcilier plus d’un téléspectateur avec la politique. De quoi séduire une chaîne publique. Mais n’y pensons plus.
Luc Decaster donne ici des réponses à la question de savoir comment filmer la politique : toute abstraction mise à part, à travers un personnage, dénué d’esprit partisan, mais sans se resserrer non plus sur la sphère privée, comme le font ceux qui évacuent la politique au profit du people.

On le sait notamment depuis son remarquable Rêve d’usine (2003), Luc Decaster trouve la distance juste par rapport à ceux qu’il filme, quels qu’ils soient, militants, ouvriers ou femme politique, même si sa caméra est en empathie. Le cinéaste parvient ainsi à montrer sans aucune démagogie que l’« état d’élue » de Françoise Verchère est aussi celui d’un être de chair et de sang, avec ses fatigues, ses doutes et ses douleurs. Il dresse le portrait sensible d’une élue qui n’est pas montée dans la hiérarchie politique afin de garder son indépendance. Autant dire une femme libre.

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