Un autre visage de l’entreprise

Bien loin de l’isolement et de la précarité de l’auto-entrepreneuriat, des indépendants nouvelle génération ont rejoint la coopérative Coopaname, qui leur assure la sécurité du salariat et un accompagnement collectif.

Pauline Graulle  • 25 mars 2010 abonné·es
Un autre visage de l’entreprise
© PHOTO : DANKLIFE PRODUCTIONS

Manier la serpe dans les plus beaux jardins privés de Paris n’est pas la seule particularité de Patrick Reicher. Cet élagueur de 52 ans, créateur de la micro-entreprise Branches et Jardins, a pour autre originalité d’être un « Coopanamien ». Entendez : un nouveau type d’entrepreneur « employé » par Coopaname, la plus grande coopérative d’activité et d’emploi de France. « Quand j’ai découvert Coopaname, je venais de fermer ma boîte car j’avais eu déboires sur déboires avec l’Urssaf, raconte Patrick Reicher. Coopaname m’a permis de relancer mon activité tout en étant salarié de la Scop. »

Salarié et entrepreneur ? Ils sont aujourd’hui quelque 400 Franciliens à avoir résolu l’apparent paradoxe. Et à allier la sécurité du statut de salarié à l’aventure grisante de l’entrepreneuriat. Formateurs, traducteurs, accordeur de piano, créateurs de bijoux, luthier, dépanneurs en informatique, sophrologues… Tous reversent 10 % de leur chiffre d’affaires à l’« entreprise-mère » qui, après six ans d’existence, pèse déjà 4 millions d’euros. En retour, les entrepreneurs-salariés ont libre accès aux services qu’elle propose : accompagnement individualisé à la création d’activité par un conseiller spécialisé (subventionné par la région), formations pour faire monter en puissance son activité ou créer son site web, garantie d’un salaire mensuel même pendant les périodes de creux…

Un « confort » qui n’est pas pour déplaire à Céline Lorac, qui réalise le plus gros de son travail pendant les vacances scolaires. Il y a un an, cette jeune femme sémillante a monté « Chapacha », une micro-entreprise de gardiennage de chats à domicile. « J’angoissais de me lancer seule, explique-t-elle entre deux trajets en scooter rose bonbon chez les matous esseulés. Coopaname m’a guidée sans m’assister. Autre gros avantage, ils s’occupent de ma comptabilité, ce qui me permet de me concentrer pleinement sur mon affaire ». Une affaire qui tourne aujourd’hui à un millier d’euros nets par mois. « La double cotisation [salariale et patronale, NDLR] n’arrange pas les choses… Mais c’est un filet de sécurité sur le long terme : ça me permet d’ouvrir des droits au chômage et à la retraite » , indique-t-elle.

Faciliter la création de son propre « CDI », voilà donc la mission de Coopaname. Mais la coopérative va plus loin. « Ce qu’on invente ici, c’est une forme d’organisation économique différente. Depuis quinze ans, les politiques publiques, encourageant la création d’entreprise
– l’auto-­entrepreneuriat en tête –, ont engendré plus de précarité sociale que de richesse économique »
, souligne Stéphane Veyer, venu du prestigieux cabinet McKinsey pour ­prendre la tête de Coopaname – lui aussi sous statut d’entrepreneur-salarié. « La plupart des Coopanamiens ont connu de longues périodes de chômage ou de souffrance au sein de leur ancienne entreprise, poursuit-il, ils recherchent une autre manière de travailler. »

Une nouvelle conception du travail qui passe par une revalorisation de l’action collective. Elle s’incarne dans les réunions mensuelles organisées dans chacun des six bureaux franciliens de Coopaname, où l’on échange bons tuyaux et inquiétudes… Elle s’illustre aussi dans le principe de mutualisation des risques : Patrick Reicher a ainsi pu se payer une camionnette professionnelle grâce à un emprunt contracté par Coopaname à la Nef. Bientôt, une mutuelle santé pourrait voir le jour. L’organisation non hiérarchisée forme encore un large réseau de travailleurs qui peuvent s’associer le temps d’un projet : le « wedding-planner » saura, par exemple, vendre une offre des plus étoffées à de futurs mariés, en sollicitant ses collègues photographe, couturier ou webmaster… « Si on pousse l’utopie un peu plus loin, on pourrait même imaginer la constitution de sortes de PME en interne » , avance Stéphane Veyer.

Et parce que l’être-ensemble n’est jamais exempt de conflictualité ou de rapports de force, les instances revendicatives ont droit de cité. « Cela peut paraître un peu schizophrénique puisque les salariés sont leur propre patron ! » , sourit Stéphane Veyer. Élu délégué du personnel, Patrick Reicher s’emploie néanmoins à « défendre les 15 salariés permanents ou à arbitrer les contentieux qui peuvent survenir quand des Coopanamiens travaillent ensemble ».
« L’illusion dévastatrice du “self-made-man” plein aux as est tenace chez les entrepreneurs. Nous, on leur montre qu’on ne réussit qu’à plusieurs », pointe Stéphane Veyer. Un état d’esprit que partage David Lemonnier, 27 ans, créateur du Studio Mörk de réalisations graphiques avec un camarade lui aussi Coopanamien : « Je ne suis pas engagé politiquement mais, pour moi, faire partie de Coopaname, c’est un acte politique, affirme-t-il. Quand je travaille, je produis de la richesse qui profitera à des personnes qui étaient comme nous au départ : sans un kopeck à investir ! En fait on revient à la source de ce que faire société veut dire. » Dans tous les sens du terme…

Temps de lecture : 4 minutes