L’école de la délation

Christine Tréguier  • 27 mai 2010 abonné·es

Rien ne va plus à l’école de Jules Ferry. Les enfants y sont fichés
dès l’âge de 3 ans dans Bases élèves/BNIE. Plus de deux mille parents d’élèves dans trente-neuf départements ont porté plainte contre X
en raison de ce fichage systématique. Une douzaine de directeurs d’école sont menacés de retrait de poste (et de salaire) parce qu’ils exercent
leur droit d’opposition à cette atteinte aux droits de l’enfant en refusant
de renseigner le fichier. Une soixantaine d’organisations, dont la LDH,
ont envoyé une lettre ouverte au ministre de l’Éducation, Luc Chatel, condamnant ces manœuvres d’intimidation et demandant la levée immédiate des sanctions. Lequel fait comme si rien ne se passait.

Mais il y a pire, les directeurs insubordonnés sont harcelés
par les inspections académiques (IA) pour des motifs ineptes, voire mensongers. Par exemple, Colin Sanchez, qui a osé transmettre
au responsable du fichier au ministère une carte postale éditée par le Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE). Lequel responsable
a balancé le dessin à l’IA du Vaucluse, qui a illico mis un blâme à Colin « pour l’envoi d’un courriel infamant » . Le dessin montrait un bambin tatoué
sur la cuisse avec le slogan : « INE, un tatoo
pour la vie ? » Plus délirant encore, [l’histoire
de Fabienne Bernard->www.education-resistance-autoritarisme.org/accueil.html], directrice d’école primaire
à Malakoff (Hauts-de-Seine), qui s’est vue un beau matin de juin 2009 remplacée au pied levé
et interdire l’accès à son école parce qu’« on » la dit malade. « On », c’est l’inspection d’académie,
qui malgré ses excellentes notes (19,5 à la dernière inspection) anticipe sur l’examen du comité médical en l’accusant de « démence mentale » ou de tuberculose (deux motifs valant mieux qu’un). En août, l’expert psychiatre confirme qu’elle est bien saine de corps et d’esprit. En mars 2010, Fabienne est « mise en demeure » de rejoindre son poste de remplacement.
Usée par ces mois de lutte, elle tombe malade pour de bon et l’est encore aujourd’hui. Inutile de dire que sa remplaçante a depuis consciencieusement rempli Base élèves.

Il y a également des directeurs zélés qui font preuve de beaucoup d’imagination pour traquer les « violences scolaires » chères à notre Président. Il y a ceux, de bonne volonté, comme le directeur de l’école Maryse-Hilsz (Paris XXe), qui vient de lancer la « Brigade verte » pour prévenir les petites violences de cour de récré. Les brigadistes, habillés
de tee-shirts blancs avec un logo vert et rouge, interviennent auprès
des fauteurs de bêtises ou de bagarre et leur font lire le règlement intérieur. « C’est bon enfant, il n’y a aucune sanction, et il n’est pas question de les éduquer à la dénonciation » , explique le directeur,
qui promet néanmoins de trouver une appellation moins connotée. Surtout que les « équipes mobiles de sécurité » (EMS) lancées en octobre par Luc Chatel et Brice Hortefeux sont elles aussi surnommées
les « brigades ».
Et puis il y a ceux qui veulent installer des caméras directement
dans les salles de classe. Un collégien en a signalé une récemment… au Maroc. Mais les bonnes idées ne connaissent pas les frontières. Gageons qu’on en reparlera bientôt en France.

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