L’heure de vérité

Denis Sieffert  • 23 septembre 2010 abonné·es

Cette réforme est un peu comme une malle à double fond. En surface, nous voyons immédiatement le report de l’âge légal de départ à la retraite et l’allongement de la durée de cotisation. Nous voyons l’injustice faite aux femmes et à tous ceux qui ont eux des itinéraires professionnels discontinus. Il faut y ajouter le mépris affiché envers les salariés aux métiers les plus rudes, auxquels M. Sarkozy promet une vie écourtée, et une retraite vécue dans la douleur et la maladie. C’est sur leur dos qu’il compte grappiller quelques économies. Je sais bien que ces considérations peuvent engendrer des sourires. On se dira que j’exagère. Mais qui n’a pas vu un père, une mère, un frère ou un ami à l’approche de la soixantaine après une vie en usine ne peut imaginer l’état des corps et la lassitude des esprits.

Et, pourtant, MM. Wœrth, Bertrand, Copé et consorts en tournée de promotion dans les médias n’ont que le mot « pénibilité » à la bouche. Que l’on se rassure ! Quand les ouvriers seront franchement infirmes, invalides reconnus, privés déjà d’une partie de leurs gestes, ils pourront bénéficier d’une dérogation. Ce cynisme mériterait bien cet « affrontement central » qu’Annick Coupé appelle de ses vœux dans le Monde de lundi. Une vraie révolte de tous ceux-là à qui l’on promet un retour de trente ans en arrière, et de tous les autres qui, avec eux, ont le sentiment d’appartenir à la même communauté humaine, quand bien même la vie leur serait plus douce. Voilà, sur le dessus de la malle, ce que l’on voit immédiatement et qui provoque chez tout être doué de sentiments cette réaction épidermique.

Dans le double fond, on trouve d’autres trésors d’hypocrisie, et des raisons peut-être plus prospectives, plus intellectuelles, de s’insurger. Nous démontrons un peu plus loin dans ce journal que l’objectif du texte n’est en rien le sauvetage du système de retraite par répartition, riche de toute une philosophie sociale, mais au contraire de le condamner. Il n’est pas de maintenir les taux de retraite, mais de les ruiner. Et tout cela pour imposer un système par capitalisation qui enrichira les fonds de pension. Trois ans après le début de la crise dite des « subprimes », et après tant de déclarations bravaches en faveur de la « régulation » de la finance, ou d’une taxation des transactions financières, comme ce lundi encore Nicolas Sarkozy à la tribune des Nations unies, c’est en vérité d’une violente offensive de la finance contre le salariat qu’il s’agit. Pire peut-être que les autres. Voilà, si l’on ose dire, la morale de l’histoire. Il nous reste ici à évoquer la question qui découle naturellement de ce qui précède : avec quelles armes mener ce combat ? Les manifestations de ce jeudi, la grève constituent évidemment l’arme la plus importante. Notre force, c’est le nombre.
Puis, vendredi matin, l’intersyndicale aura une décision difficile à prendre. Avec le même dilemme qu’au lendemain du 7 septembre, avec un risque plus grand encore. Celui qu’un nouveau rendez-vous, trop lointain, soit interprété par l’opinion comme un signe négatif. Le choix d’un rendez-vous très proche donnerait évidemment un autre contenu à la mobilisation. On se rapprocherait d’une action en continu…

C’est la seule façon de faire plier ce gouvernement. Et d’infliger une défaite à cette équipe qui n’est pas seulement celle de la contre-réforme des retraites, mais aussi celle de toutes les répressions et de toutes les discriminations. Et de toutes les vulgarités, comme l’a montré l’humiliante prestation de Nicolas Sarkozy à Bruxelles. Une mobilisation massive, c’est évidemment la condition de la victoire. Mais si le texte gouvernemental est avant tout une agression sociale à laquelle il faut répondre par la mobilisation sociale, il constitue aussi une violente attaque contre la démocratie. On ne peut prétendre à un tel bouleversement, qui touche à tous les aspects de nos vies et de l’organisation de notre société, en refusant d’entendre les syndicats, en foulant aux pieds les droits de la représentation nationale, en méprisant la colère de la rue, et en oubliant jusqu’à sa propre promesse de campagne. Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy a transgressé une par une toutes les règles de la démocratie.

C’est cette question démocratique que soulèvent cette semaine dans Politis une vingtaine de personnalités du monde politique et associatif, dont Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain, Patrick Le Hyaric, Patrick Braouezec, en exigeant la convocation d’un référendum. Il s’agit ici de créer les conditions d’un débat qui nous a été volé. Le préalable en est bien sûr le retrait du texte actuel. Contrairement à ce président américain – Gerald Ford – dont on disait qu’il ne pouvait à la fois marcher et mâcher son chewing-gum sans trébucher, nous croyons, pour notre part, que l’on peut à la fois soulever la question de la faillite démocratique de ce gouvernement et être dans la rue jeudi, et au-delà. Il est évident qu’un appel à référendum n’aurait aucun poids sans une mobilisation massive. Mais il n’est pas interdit d’avoir plusieurs fers au feu et de s’adresser aussi à ceux de nos concitoyens qui sont simplement heurtés par le déni de démocratie.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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