Démocratie placebo

Le Sénat modère un amendement plaçant la médecine du travail sous la coupe des employeurs.

Pauline Graulle  • 7 octobre 2010 abonné·es

La médecine du travail a-t-elle échappé in extremis à une mort certaine ? Pour l’instant en tout cas, les sénateurs de la commission des Affaires sociales lui ont accordé une mise en sursis.

Tout commence lors de l’examen du projet de loi sur les retraites à l’Assemblée nationale à la mi-­septembre. Un amendement préparé en catimini par le gouvernement est alors greffé au texte : c’est une bombe pour la médecine du travail. Il indique que, désormais, les services de santé au travail auront pour tâche de définir la politique de santé, en lieu et place des médecins du travail, qui deviendront dès lors de simples exécutants. Pis, ces services de santé au travail seront présidés par… les employeurs eux-mêmes ! Autant « organiser la lutte antidrogue en la confiant aux dealers ! » , raille Bernard Salengro, médecin et responsable des questions de santé à la CFE-CGC.

La guerre entre le pouvoir et les médecins du travail est alors déclarée. Le collectif Sauvons la médecine du travail (SLMT) dénonce un « amendement bâclé » qui liquide sans autre forme de procès « un des acquis du Conseil national de la résistance » . Côté syndicats, Christian Dellacherie, à la CGT, estime que, si la médecine du travail doit être réformée en profondeur, « cette gouvernance est irrecevable et régressive » . ­Bernard Salengro, lui, n’hésite pas à fustiger le retour à une « médecine du travail instituée par Pétain » et aux ordres du Medef.

La majorité aurait-elle eu peur que le conflit s’envenime ? Toujours est-il que, la semaine dernière, les sénateurs rétropédalent. La commission des Affaires sociales décide ainsi que les comités d’administration des services de santé au travail seront présidés alternativement par le patronat et les représentants de salariés. « Si une gestion vraiment paritaire est effectivement mise en place, cela pourrait conduire à ­mettre fin aux magouilles des Medef territoriaux et ouvrir la porte à une organisation beaucoup plus démocratique » , se félicite Bernard Salengro. D’autres se montent beaucoup moins optimistes : « Ce sera une gouvernance par des apparatchiks, regrette André Causse, médecin du travail signataire de l’appel lancé par SLMT. D’autre part, le transfert des missions des médecins aux employeurs reste d’actualité » . De même qu’est entérinée « une prévention de la santé au travail par des personnels, par exemple des infirmiers, dont rien ne garantit l’indépendance vis-à-vis des patrons » , ajoute Dominique Huez, président de l’association Santé et médecine du travail. Sauvée d’une mort violente, la médecine du travail pourrait donc bien toutefois être condamnée à une lente agonie.

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