« L’important est de socialiser le système bancaire »

Si la dénonciation des dérives financières est salutaire, la proposition de Cantona est inapplicable : un effondrement des banques ôterait toute valeur à l’argent retiré.

Jean-Marie Harribey  • 9 décembre 2010 abonné·es

Le succès sur la toile de la proposition d’Éric Cantona de vider les banques de leurs billets exprime la profonde exaspération de la population contre une crise financière qui n’en finit pas de produire ses dégâts. Dégâts dont se délectent les spéculateurs agissant pour le compte des rentiers, tandis que les gouvernements s’acharnent, avec leurs plans d’austérité, à reporter sur le dos des travailleurs, des chômeurs, des malades, des retraités tout le poids de la restauration des profits des banques, responsables de ladite crise.

Dénoncer cet engrenage qui conduit au chaos des sociétés est nécessaire et salutaire. Mais les voies pour y échapper ne peuvent être celles qui achèveraient de nous jeter dans l’abîme. Supposons que les épargnants se précipitent aux guichets des banques pour réclamer leurs avoirs. Est-on
certain qu’il n’y aurait pas que les premiers arrivés
qui seraient servis, et encore ? Le fait de demander des billets ne traduit-il pas l’idée que ceux-ci représenteraient le « vrai argent » par rapport aux écritures sur les comptes, comme une réminiscence de l’époque où le « vrai argent » était l’or ? À ce compte-là, pourquoi exiger des bouts de papier et pas un métal précieux ? Le fétichisme des billets aurait-il remplacé celui de l’or ? En fait, la proposition de Cantona ignore que la monnaie est une construction sociale
qui repose sur la reconnaissance collective, donc politique, d’un signe dont la validation est apportée par le travail produisant des richesses. Et cela indépendamment du support matériel ou scriptural de la monnaie. L’important n’est donc pas de courir après les billets mais de socialiser le secteur bancaire pour éviter le pire.

Si le système bancaire s’effondrait, les billets retirés n’auraient plus aucune valeur dès lors que l’économie vacillerait faute d’investissement productif. On en a la preuve en voyant combien la crise doit au fait que la création monétaire ait été, au cours de la période de financiarisation du monde, destinée essentiellement à nourrir la spéculation et non l’investissement.
Enfin, on voit resu­­rgir­­ l’illusion que les banques prêtent ce que leurs clients ont préalablement déposé. Or, c’est exactement l’inverse. C’est parce que les banques font crédit que des dépôts sont effectués. Et lorsqu’un nouveau crédit est accordé, aucun déposant par ailleurs n’est débité. Cette illusion est aussi difficile à dissiper que celle du Soleil qui tournerait autour de la Terre.
C’est une conception précopernicienne de l’économie.

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