Un devoir de résistance

Christine Tréguier  • 9 décembre 2010 abonné·es

« Nous avons beaucoup de raisons de nous indigner. Il faut faire la distinction entre le légal et le légitime. Pour nous, c’est la légitimité qui compte, c’est ce pour quoi nous résistons » , a dit Stéphane Hessel, membre du Conseil national de la Résistance (CNR), à la centaine de personnes réunies à la Bourse du travail samedi 4 décembre. Elles étaient là pour témoigner des pressions et des intimidations dont sont victimes ceux qui osent s’opposer au dévoiement de leurs missions de service public. À l’initiative de ce Forum des résistances, des « instits » venus de toutes les régions, membres du Réseau des enseignants du primaire en résistance, du Réseau éducation sans frontières (RESF) ou du Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE), souvent en butte aux retraits de salaire, aux brimades ou aux mutations/suppressions de postes. Parce qu’ils ou elles s’abstiennent de faire les évaluations ou les heures d’aide personnalisée, s’opposent à la réduction incessante des effectifs et à la disparition des Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), ou refusent de renseigner la fameuse Base élèves.

Chacun d’eux est le porte-parole de centaines d’autres pratiquant la désobéissance – déclarée ou discrète – pour contrer la casse et la transformation de l’école publique en machine à trier et à formater les enfants. Ces profs revendiquent « une école respectueuse des droits de l’enfant, une école au service de tous, qui préfigure une société plus juste et plus solidaire » . Ils s’inquiètent du cumul de lois, fichiers et programmes transformant l’école en lieu de fabrication de bons citoyens dociles. Ils lancent aujourd’hui une Charte invitant leurs collègues à se déclarer « en résistance pédagogique » , et une campagne nationale, « Le service public d’éducation : un droit, pas un privilège », rappelant que ni l’objectif ni la méthode ne peuvent être le fichage et l’exclusion, sous prétexte d’intégration des décrocheurs, déviants, sans-papiers, Roms ou toute autre catégorie d’enfants (et de familles) désignée comme « à problèmes ».

Ce questionnement essentiel sur la mission du service public est commun à d’autres fonctionnaires. Les instits ont donc fait front commun avec d’autres agents en butte à la même mécanique de destruction sur fond de critères d’efficacité/rentabilité. Ceux de Pôle emploi, qui subissent réduction des personnels, politique du chiffre et exigences de tri entre bons et mauvais chômeurs. Quand on ne leur demande pas de jouer un rôle de policier en contrôlant les documents d’identité et en signalant d’éventuels « illégaux » à la préfecture. Ceux de La Poste, d’EDF, ou les « psys » dont on veut asservir le diagnostic au bon vouloir des préfets et qu’on veut obliger, comme les travailleurs sociaux et les éducateurs, à partager leur  secret professionnel pour répondre aux impérieuses nécessités de la prévention de la délinquance, de la récidive, de l’échec scolaire, etc. Autant de vocables en novlangue qui ne cachent plus l’intention répressive et discriminatoire de l’État, et ne trompent plus que les naïfs et les imbéciles.

Dans ce contexte, la filiation avec les résistants du CNR et du plateau des Glières prend tout son sens. Elle traduit le malaise profond de ces citoyens-fonctionnaires et comme un sentiment, partagé par tous, d’urgence à dire et à agir. À résister et à inventer, comme l’a dit Didier Magnin lors du dernier rassemblement sur le plateau des Glières en mai 2010, « une utopie réalisable » , « des pistes de réflexion, d’union et d’action. Pour que les “jours heureux” ne soient pas derrière mais devant nous » .

Pour lire la Charte et en savoir plus :
http://resistancepedagogique.org

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