« Dessine-toi » : Le bonhomme universel

« Dessine-toi », de Gilles Porte, retrace un tour du monde auprès d’enfants en train de se représenter sur une vitre au feutre noir. Libres de leurs traits.

Ingrid Merckx  • 27 janvier 2011 abonné·es

Crayon blanc sur papier noir dans le livre. Feutre noir sur une vitre verticale dans le film. Dessine-toi , long métrage de Gilles Porte, est la suite d’un travail entamé dans ­ Portraits-Autoportraits , beau-livre publié en octobre 2009 (Seuil). Mais le projet remonte à plus loin : quand le cinéaste remarque les bonshommes qui ornent les portemanteaux dans l’école de sa fille, âgée de 3 ans. Il demande alors à tous les camarades de celle-ci de se dessiner. Il réalise aussi quatre-vingts mini-films sur le même principe pour l’anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant. Dans l’album, l’enfant apparaissait à côté de son ­auto­portrait, photographié en plongée comme s’il tirait un adulte par la manche. Deux plans fixes montrant l’enfant et son œuvre côte à côte, immobiles ; de quoi prendre la mesure d’un exercice sur la représentation et l’identité.

Autre démarche dans Dessine-toi , où les enfants sont filmés à leur hauteur par une caméra cachée derrière un drap mais dont ils savent la présence. Ils apparaissent derrière une vitre transparente qui les montre en mouvement en train de dessiner. Échauffement, hésitation, concentration… certains effacent un raté, d’autres s’appliquent à remplir l’intérieur d’une forme. Placée légèrement de biais, la caméra guette le regard, la bouche, les expressions, tout ce qui témoigne d’une émotion : les sourires qui disent une joie subite par rapport au ­dessin, les pleurs aussi, avec ce petit garçon pris par un sanglot profond qui interpelle et tire brutalement hors d’une contemplation amusée.

Dans chaque endroit, village africain ou école mongole, le dispositif est le même : une vitre, un drap sombre légèrement cosmogonique en arrière-plan et une succession de plans fixes qui se contentent de varier délicatement la focale. Sauf que, pour les plans de coupe, le cinéaste et une équipe de joyeux graphistes ont introduit des animations tirées des dessins des enfants. C’est-à-dire qu’ils ont donné vie à leurs mille bonshommes.

Dans ce nouveau tour du monde entrepris par le cinéaste et que seuls marquent les changements d’ethnies, pas de voix off, pas de commentaires, pas de hors-champ, pas d’adultes non plus, exceptés quelques instituteurs dont les paroles ne sont pas traduites. Seule la musique du jazzman Louis Sclavis accompagne les gestes, et fort à propos. Le plus étonnant, c’est que le musicien a composé la partition sans voir les images. L’alliance images-sons relève donc entièrement du montage, le grand ressort du film : c’est le travail de sélection des scènes et leur adéquation avec la musique, la qualité du cadrage et de la lumière, peut-être aussi l’absence de texte qui tiennent Dessine-toi à l’écart de l’écueil « humanitaire », et le maintiennent dans un univers esthétique.
De scènes en dessins, de visages en figures, le film laisse naître comme une réflexion sur ce que l’on pourrait appeler « l’universel bonhomme ». Quelque chose qui a à voir avec la condition humaine et avec ce langage commun à ceux qui n’écrivent pas encore… Et l’impression que ces cadres stricts sanctuarisent des espaces de liberté. Seul, à deux, en groupe… autant de regards portés sur l’enfance et la création. Des moments de grâce et d’émerveillements en miroir.
_Ingrid Merckx

Culture
Temps de lecture : 3 minutes