Centre de rétention de Vincennes : « Même si on crevait ici, rien ne changerait »

La tension est toujours élevée dans le centre de rétention de Vincennes, deux ans et demi après l’incendie provoqué par les retenus, en juin 2008, pour protester contre la mort d’un Tunisien à l’intérieur du bâtiment.

Erwan Manac'h  • 3 mars 2011 abonné·es
Centre de rétention de Vincennes : « Même si on crevait ici, rien ne changerait »
© Une cellule du Centre de rétention administrative de Vincennes (2006). Photo : FRED DUFOUR / AFP

La colère des sans-papiers a explosé une énième fois et dans l’indifférence générale, jeudi 24 février, après un accrochage entre des gardiens et des retenus qui a fait deux blessés. Une partie d’entre eux s’est mise en grève de la faim pour dénoncer la tension constante qui règne dans le bâtiment.

Au bout de la ligne téléphonique qui sonne dans une pièce commune du centre de rétention, les migrants témoignent à voix basse… et à bout de nerfs.

Illustration - Centre de rétention de Vincennes : « Même si on crevait ici, rien ne changerait »

« La situation ici est vraiment chaotique , soupire Oscar (un pseudonyme), un Capverdien enfermé ici depuis 11 jours. Nous voyons beaucoup trop de choses impensables. » Ce mardi, ce plaquiste de métier interpellé dans une rue de Paris a dû secourir un retenu qui s’était pendu dans sa chambre : « je suis venu l’empêcher de se suicider et la police est intervenue. Depuis nous sommes sans nouvelles de lui et de deux autres personnes qui ont été emmenées avec lui. »

« Les policiers nous tapent dessus, nous blessent, certains d’entre-nous n’arrivent plus à tenir » , raconte un autre retenu, arrivé à Vincennes depuis quatre jours. Une violence difficile à accepter pour ces pères et mères de familles, salarié(e)s sans histoire, qui payent leurs impôts «comme tout le monde» .

La grève de la faim s’est arrêtée dimanche, après trois jours d’une mobilisation partielle et sans aucun écho dans la presse. L’administration avait serré l’écrou autour de ceux qui espéraient se faire entendre : « Les gardiens nous ont annoncé par les hauts-parleurs du bâtiment que les grévistes de la faim n’auraient plus droit à des visites » , raconte Omar qui est marié à une Française et dont les trois enfants sont nés dans l’Hexagone.

«Nous sommes découragés»

Le centre de rétention de Vincennes est un triste symbole. Par sa taille, sans commune mesure avec les autres centres de rétention, avec ses quelque 168 places réparties en trois ensembles. Il renferme aussi des migrants présents en France depuis plusieurs années, « entre 3 et 10 ans pour la plupart » d’après un membre de l’Association service social familial migrants (Assfam) qui intervient dans le centre.

« Les gens ici sont toujours en colère, la tension monte rapidement avec les gardiens, mais nous ne pouvons rien faire. Nous sommes forcés de nous taire et d’accepter, raconte Omar.
Et puis chacun se préoccupe surtout de sa situation personnelle. Nous avons beaucoup de problèmes à résoudre. »

« Nous sommes découragés, tranche un autre. Personne ne peut rien pour nous. Même si on crevait ici, cela ne changerait rien. »

Donner un écho à la mobilisation

Dans le même temps, les associations doivent constamment se battre pour conserver leurs prérogatives au sein des centres de rétention et, à l’extérieur, la mobilisation est devenue très difficile. « Nous avons beaucoup de difficultés à manifester devant le centre de rétention , explique Solange Odiot de l’association Sôs-Soutien ô sans-papiers. Depuis peu la répression est très féroce contre les mouvements de soutien, mais nous tentons aujourd’hui de converger avec des associations communautaires. »

Ce lundi la Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR) a tenté de donner un écho à la mobilisation en publiant un communiqué pour demander l’arrêt des violences dans les centres de rétention et «l’arrêt de la délivrance des visas dans l’attente de la renégociation des accords de reconduites (…) avec les gouvernements issus des révolutions arabes.»

La préfecture de police de Paris, contactée par l’AFP, a jugé lundi que ce mouvement n’avait… «rien d’exceptionnel» .

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