Front national : « Les médias doivent avoir une lecture politique, pas politicienne »
Alors que le Front national de Marine Le Pen s’est renforcé avec les élections cantonales, quelle place occupe le FN dans les médias ? Avant notre dossier « FN : les racines du mal » à paraître jeudi, l’analyse d’Arnaud Mercier, politologue et professeur de communication à l’université de Metz.
Politis.fr : Comment expliquer la forte présence dans les médias de Marine Le Pen alors que traditionnellement, le FN était boudé par la sphère médiatique ?
Arnaud Mercier : Globalement, les médias épousent les stratégies de communication des partis politiques. Quand Jean-Marie Le Pen se présente comme le trublion, l’empêcheur de tourner en rond du système politique, qu’il veut présenter son parti comme un pôle de radicalité, et que pour cela, il utilise sciemment des propos provocateurs et choquants (ses fameuses saillies racistes ou antisémites), il suscite logiquement une posture de défiance chez les médias et les citoyens. Il n’est donc pas étonnant que lors de la campagne présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen ait été traité comme un « petit candidat »… jusqu’à avoir moins de temps de parole qu’Arlette Laguiller ! Dans l’entre-deux tour, le FN a même subi un véritable « traitement de défaveur » des journalistes : ils se sont soudain montrés très exigeants sur son programme, et beaucoup moins sur celui de Jacques Chirac…
A l’inverse de son père, Marine Le Pen joue la carte de l’entrée en respectabilité. C’est une femme divorcée qui a un discours beaucoup moins « droite catholique intégriste », et globalement, des positions beaucoup moins tranchées, du moins en apparence, que son père. Elle offre un visage acceptable du FN, passe très bien à l’antenne, et du coup, les journalistes n’ont pas vraiment d’autre choix que de lui accorder un traitement équivalent à celui des autres responsables politiques. D’une certaine manière, Marine Le Pen a « tué le père » en apparaissant de manière si importante dans les médias…
D’autant qu’à chaque fois qu’elle passe à l’antenne, Marine Le Pen « fait » de l’audience…
Rappelons que Jean-Marie Le Pen battait lui aussi des records d’audience, son positionnement très « clivant » lui permettant de rassembler à la fois ses détracteurs et ses défenseurs. Au-delà, Marine Le Pen est un bon client médiatique car elle incarne vraiment quelque chose : le renouveau du Front national. Aux cantonales, une élection qui, d’ordinaire, désavantage le FN qui n’est pas un parti de terrain, les Français ont voté pour le FN de Marine Le Pen : ils ont plébiscité la nouvelle ligne, plus « fréquentable », du parti. Exactement celle de Bruno Mégret qui voulait faire du FN un parti de la droite nationale, un parti de gouvernement, et qui est ainsi consacré de manière posthume. Le message a, semble-t-il, été compris, puisque dans les 12 cantons de Moselle où des candidats FN étaient en lice, ils ont obtenu en moyenne 38 % des voix ! Ce qui signifie que de nombreux électeurs UMP ont bel et bien voté pour l’extrême-droite. Marine Le Pen a le vent en poupe, donc les médias suivent…
Comment les médias peuvent-ils résister aux éventuelles manipulations ?
En plateau, les journalistes ont tendance à s’opposer frontalement à un FN qui, dans les faits, n’existe plus car il est en pleine mutation. C’est totalement inefficace. A la place d’une lecture politicienne qui conduit à des débats superficiels autour de l’identité nationale par exemple, les médias devraient, à mon sens, avoir une lecture politique des causes réelles de ce vote : le rejet de la classe politique, la désespérance sociale… Ils devraient donner la parole à ces Français qui se sentent mis aux bans des médias et de la société. Ensuite, les partis pourraient eux-mêmes établir leur diagnostic.
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