Le diable s’habille en médias

Longtemps banni des télés et des radios, le Front national a fait une entrée fracassante dans le PAF. Avec pour corollaire la banalisation de ses idées.

Pauline Graulle  • 31 mars 2011 abonné·es

Opération « dédiabolisation » réussie. Avec une soixantaine de passages télé et radio [^2] en trois mois, la nouvelle leader du Front national a remporté la bataille perdue par son père : celle des médias. Oscillant jusqu’alors entre indifférence et rejet, télés, radios et presse écrite couvrent désormais en long et en large le parti d’extrême droite : « En 2002, Jean-Marie Le Pen avait moins de temps de parole qu’Arlette Laguiller , rapporte Arnaud Mercier, politologue à l’université de Metz [^3]. Marine Le Pen a “tué le père” : elle apparaît partout… » Mention spéciale à RMC, RTL, France 2, et aux chaînes de la TNT (notamment BFMTV), qui lui ont consacré le plus grand nombre d’émissions. Et la petite musique du FN devient, mine de rien, une mélodie comme une autre dans le grand concert politique…

On entend déjà les patrons de chaîne : « On ne fait que suivre l’actualité ! » Ils n’ignorent pourtant pas que l’information se fabrique. Marine Le Pen est plébiscitée au congrès du FN ? Elle enchaîne, la même semaine, la Matinale de Canal + (12 janvier), le « 13 heures » de Claire Chazal (16 janvier), le « 8 h 30-9 h » de Jean-Jacques Bourdin sur RMC (17 janvier), et le JT de 20 heures de France 2 (18 janvier). Un sondage la donne en tête des intentions de vote à la présidentielle ? Le magazine Elle (2,2 millions de lecteurs) consacre un portrait de trois pages à la « fille prodigue » qui « excelle » (sic) « sur le terrain social » . Et quand les cantonales approchent, une fois encore, les portes jadis closes s’ouvrent. Même Radio J se prend à inviter la cheftaine d’un parti qui a troqué – en apparence, du moins – l’antisémitisme pour l’islamophobie. L’affaire déclenche un tollé, la radio juive renoncera. Pour cette fois.

Car le loup s’est déguisé en bergère. Aux oubliettes les « dérapages » racistes – devenus depuis l’apanage de l’UMP [^4] – qui défrayèrent en leur temps la chronique ! L’homme au bandeau évoquant le « détail de l’histoire » (1987), ricanant de « Durafour crématoire » (1988) ou convaincu de « l’inégalité des races » (1996) s’est mué en une blonde plantureuse dont la langue ne fourche jamais. Ou presque. Mais, même lorsque la Walkyrie propose (sur RTL) de « repousser dans les eaux territoriales » les migrants tunisiens et égyptiens – autrement dit, de « jeter les Arabes à la mer »  –, le silence est de mise dans les rangs médiatiques [^5].

C’est que les contradicteurs politiques ont déserté les micros. À leur place, une kyrielle de moralisateurs ont envahi les ondes. Ainsi Jean-Michel Aphatie, l’intervieweur star de RTL, appelant à la rescousse l’acteur « ch’ti » Dany Boon pour dissuader les classes populaires de voter FN. Voir encore les remontrances stériles de l’équipe du « Grand Journal » de Canal + contre une Marine Le Pen en victime consentante qui fit, ce soir-là, la meilleure audience (10,8 % de part de marché) de toute l’histoire de l’émission…

Décidément, elle sait y faire, « Marine ». Celle que tant de journaux appellent désormais par son prénom, avec la familiarité réservée à ceux que l’on a vu grandir, a imposé son langage au cœur même de la matrice médiatique. Le slogan du FN « la vague bleu Marine » est repris sans guillemets dans la bouche des commentateurs. Et, au premier tour des cantonales, le Midi Libre n’hésitera pas à repeindre sa une en « bleu marine » (sic). Signe de lendemains plus sombres encore…

[^2]: Interviews ou reportages consacrés à Marine Le Pen dans les principales émissions politiques.

[^3]: ](Retrouvez l’interview d’Arnaud Mercier [en accès libre et dans son intégralité sur Politis.fr->13577).]

[^4]: Voir le « baromètre des dérapages racistes de l’UMP » sur Politis.fr.

[^5]: Le journaliste au Point Hervé Gattegno sera l’un des seuls à s’élever contre le « silence » des médias.

Publié dans le dossier
FN : les racines du mal
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