Quand France 2 roule pour le nucléaire

Comment France 2 a-t-elle traité la question du nucléaire en France suite à la catastrophe japonaise dans ses JT ? Évitement des questions qui fâchent, plateau ouvert à la patronne d’Areva ou à Claude Allègre… La chaîne publique a choisi son camp : circulez, y a rien à voir ! Démonstration en trois séquences « vues à la télé ».

Xavier Frison  et  Pauline Graulle  et  Erwan Manac'h  • 25 mars 2011
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Quand France 2 roule pour le nucléaire
© Photo : capture d'écran du JT de 20h de France 2, 14 mars

Un expert pour analyser la catastrophe de Fukushima et ses conséquences en France ? Demandez Areva !

Lundi 14 mars, les premières explosions de réacteur ont déjà eu lieu au sein de la centrale nucléaire de Fukushima. Sur France 2, David Pujadas présente un JT « spécial Japon » et pose d’emblée cette question : « Devons-nous redouter le nucléaire ? » Au Japon, la situation semble alors hors de contrôle : une deuxième explosion vient de se produire dans la centrale de Fukushima et le système de refroidissement d’un troisième réacteur « est en panne » . Images, reportages… et une invitée, chemisier blanc et veste marine, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, numéro 1 du nucléaire dans le monde, qui se permet même une touche « d’ironie » fort bienvenue… Interview, extraits :

David Pujadas : Est-ce que vous diriez que c’est aussi un catastrophe nucléaire à laquelle on assiste ?

Anne Lauvergeon :   Non, pas une catastrophe puisque aujourd’hui j’espère, ça c’est la version positive, je crois qu’on va éviter la catastrophe nucléaire. On n’est pas du tout dans la situation de Tchernobyl . Chaque jour qui passe est un jour de gagné.

Les ingénieurs japonais semblent un peu désemparés, ils font appel à des experts américains, de l’AIEA…

C’est tout à fait classique , ce sont des réacteurs qui sont de design américain… donc appeler des ingénieurs qui ont fait ce design est tout à fait classique et appeler l’AIEA est aussi une réaction tout à fait normale . Je comprends très profondément l’émotion de tout le monde, même si certains instrumentalisent un peu les peurs, comme on l’a vu dans certains de ces reportages , il es tout à fait normal effectivement aujourd’hui de s’inquiéter.

Est-ce qu’on doit en tirer des enseignements, nous, en France ? Et lesquels ?

Nous, les enseignements on les a déjà tirés dans tous nos design , c’est-à-dire que tout ce nous proposons aujourd’hui de construction de nouveaux réacteurs nucléaires, ce sont des réacteurs qui par exemple, même en cas de fusion de coeur, événement extrêmement improbable , eh bien il n’y aura pas de fuite dans l’environnement. Donc, nous avons intégré toutes ces leçons  ; c’est d’ailleurs quelque chose qui parfois, on le reprend avec un peu d’ironie… Il y a eu une grosse polémique pendant un an en France sur le fait que nos réacteurs étaient trop sûrs et que notre troisième génération était beaucoup trop développée dans ces domaines. Je crois qu’aujourd’hui les réacteurs low-cost, c’est pas ça l’avenir. […]

On dit que « nos réacteurs à nous, en France, ils sont trop vieux »… Est-ce qu’ils pourraient résister ?  

Les séismes ne sont pas de même amplitude et on n’a pas de tsunami de ce niveau-là… par contre, il y a eu tout un travail qui a été fait après les grandes tempêtes de 1999, qui avaient montré effectivement des événements météorologiques tout à fait exceptionnels pour redimmensionner certaines digues et s’assurer qu’effectivement en cas de grande marée, en cas de tempête il n’y ait pas des arrivées d’eau. […] Parce que le sujet de ces réacteurs c’est l’inondation, ne nous trompons pas de sujet c’est pas les tremblements de terre c’est les inondations .

Là-dessus en France on a fait ce qu’il fallait d’après vous ?

Il va falloir . Il va falloir, je dirais récupérer toute l’expérience japonaise pour regarder effectivement s’il n’y a pas de leçons à prendre et à faire revenir sur le système français. Moi je crois que là-dessus, il faut rester extrêmement ouvert, tout est à construire, mais ne manipulons pas les peurs de manière primaire . On a l’impression d’ailleurs parfois qu’il y a plus d’énervement dans le système français que dans l’extraordinaire sang-froid que développent les Japonais ».

Anne Lauvergeon à partir de 1’50 »

Pour éviter les questions qui fâchent : débattre du… débat

Ce même lundi 14 avril, dans ce même JT « Spécial Japon », la rédaction a la lumineuse idée d’organiser un « débat », animé par le présentateur vedette David Pujadas, entre Daniel Cohn-Bendit, « député européen », et Claude Allègre , « ancien ministre, géologue, scientifique ».

L’objet du débat ? Le débat, justement ! Il faut dire que Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie, et Eric Besson, ministre de l’Industrie, sont en colère. Non pas contre les conditions de sécurité de la centrale japonaise, non plus contre les risques encourus par la population, ni même contre les incidents à répétition dans les centrales françaises… Ils sont en colère contre « l’indécence » des anti-nucléaires qui veulent réouvrir le débat sur la sortie du nucléaire en France. Une notion d’indécence, il est vrai, tout à fait vitale à ce moment de la catastrophe, et à laquelle le JT de France 2 va consacrer une bonne dizaine de minutes.

« Faut-il avoir ce débat sur le nucléaire maintenant ? Faut-il en reparler ? Faut-il reposer la question ? » , interroge David Pujadas en introduction. Daniel Cohn-Bendit, dans son rôle de l’anti-nucléaire pur jus, s’énerve. La parole est à Claude Allègre : après avoir assuré que les problèmes posés par le nucléaire n’ont « rien à voir avec ce qui se passe au Japon » , il affirme ne pas être « contre l’idée d’un débat nucléaire » (sic).

L’ambiance entre Cohn-Bendit, en duplex de Francfort, et Allègre, en plateau, est électrique. Pujadas calme le jeu. Se tourne vers Claude Allègre : « Est-ce que vous, personnellement, qui connaissez bien le sujet … est-ce que vous êtes inquiet ? »

Je suis inquiet pour la situation sismique, oui… 

Pas de la situation nucléaire ?!?

Je suis inquiet, d’abord, par la situation sismique…

Pujadas relance : « …un peu pour la situation nucléaire ! »

… Je regarde la télé comme tout le monde, mais je ne suis pas béat

On entend, au loin, Daniel Cohn-Bendit qui fulmine : « Mais Claude Allègre, qu’est-ce que ça veut dire : “Je ne suis pas béat” ? »

(Pas de réponse)

Pujadas, à la rescousse d’Allègre : « Attendez, il répond à ce que vous disiez auparavant ! »
Et ne répondra jamais à la question…

Le nucléaire, c’est l’avenir : c’est les étudiants qui le disent !

Lundi 21 mars, le « 20 heures » de France 2 diffuse un reportage au sein d’une classe d’étudiants en Bac pro « environnement nucléaire ».

Lancement du sujet : David Pujadas s’interroge sur les « conséquences » de cette catastrophe sur les travailleurs français du nucléaire. Mais au lieu d’aller voir de plus près les conditions de travail sur place (ce qu’a très bien fait Bastamag.net), la rédaction opte pour un reportage beaucoup plus « confort » chez les lycéens en Bac Pro « Environnement nucléaire » … histoire de sonder les esprits des futurs employés des centrales françaises. Et de montrer, l’air de rien, que la filière nucléaire est pourvoyeuse d’emplois pour les enfants de France.

Angle du reportage : la sécurité, bien sûr ! « Un Bac professionnel qui enseigne les techniques d’intervention et la culture de la sécurité, pour faire face au risque » , résume le journaliste. Pour être encore un peu plus clair, le reportage montre quelques exercices de simulation ordinaires, sous l’œil attentif d’un instructeur : « L’enseignant évalue le calme et la maîtrise de soi de chaque élève » , explique, pédagogue, le journaliste. « Est-ce qu’ils s’affolent, est-ce qu’ils partent… non… il faut rester calme  » , détaille le professeur de génie thermique. Un élève lance face caméra : « Je travaille dans le nucléaire, je sais que s’il y a un gros risque je serai présent. Même si je dois y passer, pour sauver la France… » Ne manque plus que la Marseillaise en fond sonore.

Suit un topo sur les scrupuleuses leçons de sécurité enseignées aux lycéens. Le reportage s’achève sur des images de centrales, bien réelles celles-là : « Vêtus de combinaisons anti-contamination, [les élèves] s’entraînent à toutes sortes d’alertes et font de nombreux stages dans des sites nucléaires » . Un Bac pro, des élèves consciencieux, des stages, un futur métier pérenne… On est bien loin du vocabulaire anxiogène de Fukushima ; voyez comme ici, chez nous, la corne d’abondance du nucléaire made in France continue à produire emplois pérennes et énergie douce. Détendez-vous. Dormez tranquille.

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Temps de lecture : 8 minutes
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