DSK, l’image d’un naufrage

Denis Sieffert  • 19 mai 2011 abonné·es

Ce n’est un mystère pour personne : Dominique Strauss-Kahn ne risquait pas d’être notre candidat. Il incarne tout ce que nous détestons dans la dérive du Parti socialiste. Par son affichage, c’est lui qui symbolise le mieux le divorce social entre une certaine gauche et nos concitoyens. Sa nomination à la tête du FMI, sur proposition de Nicolas Sarkozy, a achevé de l’éloigner de l’idée que l’on peut se faire d’un responsable socialiste. Et pourtant, en dépit de toutes ces préventions, son arrestation, dimanche à New York, prend à nos yeux aussi une dimension dramatique. C’est l’image même du naufrage. Ce n’est pas tant son sort que la position de voyeur que l’on nous impose qui provoque le malaise. Ce personnage à qui tout semblait réussir, économiste brillant, adoré des élites financières, vautré dans le luxe, côtoyant les grands de ce monde, ignorant les fuseaux horaires, vivant au rythme d’un agenda mondialisé, et – comble de la coquetterie – se déclarant « de gauche », on nous le montre roulant dans la fange.

Une semaine plus tôt, cet homme-là s’engouffrait dans une Porsche, symbole de l’opulence, choyé par une cohorte de communicants très jet-set. Et le voilà sortant menotté, les traits défaits, d’un commissariat lépreux de Harlem. Il avait rendez-vous avec Angela Merkel, il attend son tour entre deux dealers sortis tout droit de la série The Wire . Don Juan traité comme un petit violeur minable. On avait beau savoir depuis Plutarque qu’il n’y a jamais loin de la roche Tarpéienne au Capitole, la chute cette fois est vertigineuse. Ce qui est terrible, et terriblement injuste, c’est que le spectacle du naufrage précède tout jugement et tout établissement de preuves. Car même s’il advenait que l’on est en face d’une machination, l’image n’en serait pas moins tenace, l’humiliation, profonde, et l’avenir de DSK, plombé. De l’affaire elle-même, on dira peu de chose ici. Au surlendemain de l’arrestation du directeur du FMI, trois hypothèses restent plausibles.

Celle d’un aristocrate de la finance et de la politique se croyant tout permis, et affranchi de toute morale, au point de violer une femme de chambre dans la suite à trois mille dollars la nuit d’un grand hôtel new-yorkais. Et alors, il nous faut de toute urgence oublier nos apitoiements indécents pour le violeur, et penser à la souffrance de cette anonyme. La deuxième hypothèse est celle d’une machination, invention d’une fausse victime, mythomane en quête d’argent ou de notoriété. Cela s’est déjà vu. La troisième, plus romanesque encore, est celle d’un coup tordu imaginé par on ne sait quel commanditaire attaché à la perte d’un homme qui ne manque pas d’ennemis.

C’est fou comme la thèse du complot a du succès ces jours-ci ! Même si le plus simple des scénarios est souvent le plus probable. Mais on ne fait pas la justice avec des probabilités. On attendra donc des conclusions et, le cas échéant, un procès. À propos de justice, un mot sur le système américain. On nous dit qu’il est volontiers plus égalitaire parce que les puissants n’ont pas plus droit que les faibles à des portes dérobées, et qu’ils n’échappent ni aux menottes ni aux flashs des photographes. C’est là la pire des égalités. Et la justice américaine ferait mieux d’épargner les humiliations aux faibles que de les infliger aux puissants. D’autant qu’elle vend ensuite chèrement la liberté à ceux qui peuvent se l’offrir à coups de cautions mirobolantes. Il n’est plus question alors d’égalité. Les avocats de M. Strauss-Kahn ont offert un million de dollars pour sortir leur client de la détention préventive. Décision vendredi. Et on verra ensuite que le rapport de force économique resurgira tout au long de la procédure.

Mais, venons-en maintenant aux conséquences politiques de cette pitoyable affaire. Autant qu’on peut les prévoir aujourd’hui. L’incapacité, de toute façon probable – même s’il est innocent –, de DSK va-t-elle profiter à Nicolas Sarkozy ? Rien de moins sûr ! Elle aiguisera les convoitises au centre, où Borloo et Bayrou vont se disputer âprement l’honneur de nuire au candidat de la droite. Ce qui n’arrangera pas forcément les affaires du Président sortant. L’effacement de DSK est-il un coup dur pour le Parti socialiste ? Pas sûr non plus ? François Hollande peut rapidement occuper la place, avec un autre profil personnel, moins marqué à droite. À condition que ses adversaires de la rue de Solferino ne suscitent pas une autre candidature de poids. Fabius, par exemple. En théorie, le PS pourrait même en profiter pour se relooker à gauche. Mais ne rêvons pas. Autre assertion : DSK éliminé, c’est Mélenchon qui doit être content… Pas sûr non plus. Même s’il était du jeu du futur candidat de la « gauche de la gauche » de réserver ses flèches à l’homme qui symbolisait le mieux le social-libéralisme, la candidature de DSK lui aurait en vérité dégagé un large espace politique à gauche. Reste Marine Le Pen.

Les climats délétères et les affaires glauques profitent toujours au Front national. Avec cette histoire sordide, Mme Le Pen est servie ! Quant aux peuples qui subissent les plans de restructuration du FMI, Grecs, Portugais, Roumains… l’affaire n’est rien d’autre pour eux qu’un lointain fait divers. Dominique Strauss-Kahn songeait-il à tout ça, samedi sur le coup de midi, dans la suite 2806 du Sofitel ? À quoi songeait-il d’ailleurs ? Les psychiatres, quand ils veulent bien évoquer l’hypothèse de la culpabilité, se perdent en conjectures : « Acte manqué de l’homme qui ne voulait pas être président », « suicide politique ». Nous ne sommes plus en politique mais dans les méandres de l’âme humaine.

Voir aussi l’article de Jean-Claude Renard, en page médias.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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