Septimana horribilis

Denis Sieffert  • 29 septembre 2011 abonné·es

Il faudrait être bien ignorant des choses de la politique pour se risquer à prédire aujourd’hui la défaite de Nicolas Sarkozy en mai prochain. Nous savons trop combien pèse le contexte du moment dans un scrutin présidentiel qui fait de plus en plus la part belle à l’émotion. Mais une chose est certaine : pour la droite, l’affaire est mal emmanchée. Et plus mal encore après l’horrible semaine ( « septimana horribilis » , aurait dit la reine d’Angleterre) qui s’est achevée avec l’élection sénatoriale. Certes, la droite a payé dimanche l’addition d’une succession de défaites aux élections locales. Mais c’est plus grave que cela. Les grands électeurs ont aussi délivré un message politique de lassitude face à un pouvoir qui a trop souvent méprisé les petites communes, notamment avec la réforme des collectivités territoriales. Les mauvaises langues diront que Nicolas Sarkozy est au moins assuré d’entrer dans l’histoire comme le premier président de droite qui a réussi à perdre le Sénat. On a la postérité qu’on peut ! Ces défaites en série ont relancé, depuis dimanche, une sourde interrogation : et si l’actuel président n’était plus le meilleur candidat à sa succession ? Une question alimentée par l’autre événement de la semaine, aux suites imprévisibles : l’accélération de l’enquête dans ce qu’on appelle le « volet financier » de l’affaire Karachi.

Depuis des mois, nous disons ici que cette affaire sera plus difficile à étouffer que les autres parce qu’il ne s’agit pas seulement de ventes d’armes, de commissions et de rétrocommissions destinées à financer une campagne politique. Dans cette affaire, onze ingénieurs français ont perdu la vie, tués dans un attentat à Karachi, probablement en représailles après un refus du gouvernement de l’époque d’honorer un contrat. Onze innocents, victimes indirectes d’une guerre de clans au sein de la droite française. Et leurs proches ne sont pas disposés à lâcher prise. Il y faut ajouter un juge d’instruction courageux – on voit pourquoi Nicolas Sarkozy voulait supprimer ce corps de métier ! –, et on comprend mieux le vent de panique qui s’est emparé ces jours-ci de l’entourage présidentiel. D’où l’erreur de Brice Hortefeux, piégé par un système d’écoutes téléphoniques dont il connaît pourtant tous les rouages.

La France entière sait désormais que l’ex-ministre de l’Intérieur a appelé le 14 septembre son ami Thierry Gaubert pour l’avertir que la femme de celui-ci « balance beaucoup » . Et qu’il y a « beaucoup, beaucoup de choses » , sans doute sur ces valises de billets que Gaubert, selon son épouse, rapportait de Suisse pour les remettre à Nicolas Bazire, alors directeur de cabinet d’Édouard Balladur. Bazire, Gaubert, Hortefeux : on ne peut pas faire plus proches de Nicolas Sarkozy. Et les efforts déployés par l’actuel conseiller à l’Élysée, Henri Guaino, pour nous convaincre que cette garde rapprochée ne serait finalement constituée que de vagues connaissances (on exagère à peine), sont un signe de plus de désarroi.

Quelle est donc l’étape suivante ? La mise en cause directe de Sarkozy ? C’est en tout cas l’avis de la fille de Gaubert, qui a eu l’imprudence de téléphoner avec le mobile de son père. Ce qui donne cette pépite : « Copé est trop dans la merde. Hortefeux est trop dans la merde. Et si Sarko ne passe pas au deuxième tour, euh, lui aussi est dans la merde, et personne ne l’aide. Mon père, il a dit à ma mère : personne m’aidera. Parce que tout le monde est dans la merde. » Voilà qui vaut mieux que bien des analyses politiques. Avec de tels enjeux, on a aussi idée de la violence prévisible de la campagne.

Contrairement à ce que prétendent les éditorialistes du Figaro, et quelques bons apôtres de la droite, il est évidemment souhaitable que ces affaires sortent. C’est la chape de plomb imposée par le secret défense, et autres stratagèmes dont dispose le pouvoir, qui alimente l’idée du « tous pourris » chère à la famille Le Pen. Pas les affaires qui vont à leur terme, et dont les responsables sont identifiés et punis. Il est de bon ton aujourd’hui d’invoquer l’histoire : des affaires, on en a connu, disent les blasés et les sceptiques. C’est un très mauvais argument. Tous les chats ne sont pas gris. Et espérons que la gauche (mais quelle gauche ?), si elle vient au pouvoir, aura à cœur de lever les obstacles à la justice, mais aussi d’imposer les réformes institutionnelles qui favoriseront une vraie « république irréprochable ».

Elle entrevoit depuis dimanche la possibilité d’avoir à partir de mai 2012 beaucoup de pouvoirs : l’exécutif, en cas de victoire à la présidentielle, une majorité au Sénat et peut-être à l’Assemblée, en juin prochain, et les Régions. Si tel était le cas, ce serait du jamais vu pour la gauche. Et l’occasion pour elle de changer en profondeur le pays dans le sens de la justice sociale. À y réfléchir, on peut se demander si cette perspective est tellement joyeuse pour une gauche socialiste qui a adhéré depuis trente ans à l’orthodoxie néolibérale.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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