Le paradoxe de la primaire

Denis Sieffert  • 13 octobre 2011 abonné·es
Le paradoxe de la primaire

Le premier enseignement de cette primaire dite « citoyenne » peut s’énoncer sous forme de paradoxe. Tout le monde en convient : le grand vainqueur de ce premier tour, c’est assurément Arnaud Montebourg. C’est-à-dire celui de tous les candidats qui a eu le discours le plus à gauche, contre le pouvoir de la finance et le laisser-faire complice d’une Europe libérale. Celui qui a manifesté avec le plus de force une volonté de rupture. Mais, au final, quel nom va sortir du chapeau ? On oserait presque dire « de son chapeau » ? Nous aurons un candidat « centriste ». Nous aurons un professionnel du consensus, habile à produire de la synthèse, attentif à ne pas brutaliser le système. Une sorte d’anti-Montebourg, en somme. Certes, la première étape de ces primaires a été une réussite. Les débats ont été dignes et plutôt intéressants. Et la participation massive de ce dimanche en a consacré le succès.

Mais par-delà la conjoncture, il n’est pas interdit de chercher à comprendre le système qui se met en place, sans doute durablement. La conjoncture, c’est évidemment le rejet quasi physique qu’inspire à une grande partie de nos concitoyens cette droite sarkozyste, affairiste et grossièrement au service des plus riches. Dimanche, deux millions et demi de manifestants sont descendus dans la rue pour dire leur immense lassitude à ce clan qui nous gouverne. Détail amusant, la dimension protestataire du mouvement est telle, son côté « manif » anti-Sarkozy est si évident, que la droite y a répondu comme elle a l’habitude de répondre un soir de mouvement social : quand il y a un million de personnes qui battent le pavé contre la réforme des retraites, c’est qu’il y en a soixante-quatre millions qui sont restés chez eux.

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Cette fois, les éléments de langage soufflés par l’Élysée bégayaient (pauvre Jean-François Copé !) sur le thème : 95 % des Français ne sont pas allés voter. Vaste sujet de réflexion sur l’exercice de la citoyenneté active. En l’occurrence, l’argument est d’autant plus ridicule que nous savons tous qu’une frange importante de l’opinion, celle qui se reconnaît dans le Front de gauche ou dans Europe Écologie-Les Verts, n’est pas allée voter sans, évidemment, que cela vaille quitus pour M. Sarkozy et ses amis. Une démonstration de force donc. Mais, au-delà de cette conjoncture, qu’on nous permette de redire ici, contre vents et marée, que la logique des primaires est sondagière. C’est la logique américaine. Une étape a été franchie dans le processus qui conduit à la disparition des partis politiques comme creusets idéologiques et expression de catégories sociales aux contours définis. Et cela au profit de vastes machines aptes à organiser la sélection de leurs champions selon des critères de gestion. Un grand pas vers ce qu’on appelle la « démocratie d’opinion ». C’est le triomphe du « vote utile » qui profite à celui ou à celle qui a les meilleures chances de faire triompher son camp. Sans autre considération de fond. En l’occurrence, François Hollande et Martine Aubry présentent l’un et l’autre cet avantage. D’autres critères devront les départager. Arnaud Montebourg est-il, dans cette histoire, le faiseur de « roi », comme on l’entend un peu partout depuis dimanche ? Pas sûr du tout !

En annonçant, lundi soir à la télévision, qu’il allait adresser une lettre aux deux finalistes de cette primaire pour leur poser en quelque sorte les conditions de son soutien, il a apparemment prolongé l’illusion démocratique. C’est au vu et au su de tous que l’échange se fera. On connaîtra les questions et les réponses dans l’instant. Transparence totale. La geste est superbe. Mais qui emportera la mise, c’est-à-dire la meilleure part des 17 % recueillis par le député de Saône-et-Loire ? Le plus à gauche, ou le plus bluffeur ? Le problème, c’est qu’on n’aura pas la réponse à cette question dimanche soir, mais beaucoup plus tard, à l’épreuve du pouvoir si la victoire est au rendez-vous de mai. Enfin, la logique des primaires risque d’avoir, à terme, une autre conséquence. Elle marginalisera les formations qui resteront à l’extérieur. Le Front de gauche, les Verts et qui sait, à horizon plus lointain, le NPA, ne seront-ils pas contraints d’entrer dans la « machine » ? Et Arnaud Montebourg, s’il ne veut plus seulement, dans cinq ans, avoir l’illusion d’être « faiseur de roi », mais prétendre lui-même au trône, ne sera-t-il pas obligé de lisser et policer son discours ? Pour devenir en quelque sorte le François Hollande de 2017 ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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