Annie Ernaux : « Je ne voulais pas trahir »
Pour Annie Ernaux, écriture
et politique sont inséparables. Explications d’une écrivaine
qui ne triche jamais.
dans l’hebdo N° 1176 Acheter ce numéro
Cet entretien avec Annie Ernaux est forcément un peu infidèle. Il faudrait pourvoir retranscrire ses rires fréquents et son plaisir évident à la discussion. Voici une rencontre avec une femme qui a le goût de la vie.
Est-ce que vous préférez parler politique ou littérature ?
Annie Ernaux : Souvent, les deux peuvent se rejoindre, mais cela dépend du sens du mot « politique ». Si vous me demandez pour qui j’ai voté à la primaire socialiste, je crois que c’est anecdotique. En revanche, il est plus intéressant de s’interroger sur ce que signifie écrire ici et maintenant, comment inscrire l’écriture par rapport au monde social et à la politique, au sens large, en considérant l’individu dans l’histoire et dans la société. C’est ainsi que je l’entends, et c’est pourquoi je ne scinde pas écriture et politique.
Vous dites avoir souvent la tentation d’écrire un texte pour un journal, pour réagir à l’actualité et, finalement, vous ne le faites pas. Pourquoi ?
Beaucoup de sujets m’atteignent, et je suis souvent très motivée pour écrire un texte d’intervention. Mais je me méfie d’une forme de rapidité. Le temps que je réfléchisse et que j’écrive, c’est trop tard. Par exemple, l’an dernier, j’ai voulu réagir au projet de loi « anti-burqa », qui exigeait des arguments affûtés. J’ai commencé un texte, intitulé « la loi Charles Martel », mais j’en étais à la moitié quand la loi est passée…
Je n’ai finalement réagi spontanément qu’à la mort de Pierre Bourdieu. J’étais mue par une colère qui a balayé