Le fil de lin d’Ariane

La Pluie et le Beau Temps , d’Ariane Doublet : du pays de Caux à la Chine.

Christophe Kantcheff  • 4 novembre 2011 abonné·es

Du local au global. D’un petit brin de lin poussant en terre normande à la spéculation sur les matières premières, en passant par des filatures chinoises et leurs ouvrières déracinées, le documentaire d’Ariane Doublet, la Pluie et le Beau Temps , arpente notre époque mondialisée. À partir du pays de Caux, en Seine-Maritime, où la cinéaste a tourné la plupart de ses films (les Terriens, les Sucriers de Colleville …).

Le savait-on ? Les agriculteurs normands sont les premiers producteurs mondiaux de lin. Mais ils n’ont plus qu’un seul client : la Chine. Scène inhabituelle, inversant les représentations communes : une sélectionneuse chinoise de produits se montre d’une exigence féroce avec le lin que lui soumet une coopérative cauchoise.

C’est d’abord cela, la Pluie et le Beau Temps , des images qui montrent la dépendance des uns aux autres, et leur interaction permanente : un directeur commercial qui discute des prix en anglais et par skype avec son homologue des filatures chinoises ; un patron chinois qui raconte en avoir mis plein la vue à ses fournisseurs français ; deux agriculteurs cauchois qui non seulement suivent les prévisions météorologiques, mais aussi le cours des matières premières, sachant résumer avec clarté le fonctionnement de l’économie mondiale dans laquelle ils sont pris.

Depuis Maupassant et ses Contes de la Bécasse , la vision du monde en pays de Caux a changé d’horizon. Mais, en même temps, ce monde « moderne » s’est rétréci, tout obnubilé qu’il est par ce qui le domine : la finance et les spéculateurs, qui font, précisément, « la pluie et le beau temps » .
À l’unisson du dialogue entre la Normandie et la Chine, Ariane Doublet a elle aussi son « correspondant » chinois, le cinéaste Wen Hai, qui a beaucoup filmé les ouvrières des filatures, et dont les images alternent avec celles du pays de Caux.

Ces ouvrières sont loin de leur région d’origine, vivent dans des salles collectives où elles s’ennuient en regardant des séries débiles, travaillent douze heures par jour, « avec une pause » , précise l’une d’elles. Leur bas salaire est une composante nécessaire de ce circuit économique aberrant, qui consiste à envoyer une matière première, le lin en l’occurrence, de l’autre côté du globe pour être traitée, et à la vendre sous forme de vêtements, « extravagants » , selon la mère d’un agriculteur regardant un catalogue, là d’où vient cette matière première.

Mais attention ! Sous la pression d’un manque de main-d’œuvre, les salaires chinois montent et certains industriels songent à délocaliser en Inde. Le lin normand n’a pas fini de voyager.

Cinéma
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