Les mensonges du lobby alimentaire

Stéphane Horel et Brigitte Rossigneux dénoncent dans les Alimenteurs.

Alexis Duval  • 14 juin 2012 abonné·es

Comment sont fabriqués nos aliments ? Impossible de le savoir, étant donné la grande opacité qui règne dans le monde de l’industrie agroalimentaire. Dans les usines de fabrication des grands groupes, les caméras ne sont pas franchement les bienvenues. Pour leur documentaire les Alimenteurs, les deux journalistes Stéphane Horel et Brigitte Rossigneux ont choisi l’animation façon Monty Python pour pallier le manque d’images. Comme dans les Médicamenteurs, précédente collaboration sur l’industrie pharmaceutique, de courtes séquences satiriques ponctuent les entretiens avec personnalités politiques et spécialistes de la nutrition. Manière originale de souligner la gestion grotesque des problèmes de santé publique. Entretien avec la réalisatrice.

Qu’est-ce qui a présidé à ce travail ?

Stéphane Horel : Le choix s’est fait de manière très naturelle. Avec Brigitte Rossigneux, nous avions déjà travaillé sur l’adaptation en documentaire de mon livre les Médicamenteurs  [^2]. Le sujet nous a amenées à explorer le poids des lobbies qui influencent la vie publique. L’agroalimentaire s’imposait.

Pourquoi ce parti pris d’inclure des séquences d’animation ?

C’est un peu notre marque de fabrique. J’avais déjà utilisé de l’animation en pâte à modeler en 2008 pour les Médicamenteurs. Quand on traite de sujets aussi graves que l’obésité, et même plus largement la santé publique, je pense que le message peut avoir plus d’impact sur le spectateur quand il est amené avec une touche d’humour. Et il n’y a pas que dans les animations qu’on trouve de l’humour. Je pense notamment à cette séquence où Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, pousse un long soupir surjoué et évoque ses problèmes de poids… Le plus surprenant, c’est qu’il a voulu jouer l’homme proche du peuple. Ce qui est montré n’a pas été mis en scène par nous, c’est Xavier Bertrand qui est dans la mise en scène de lui-même.

Les représentants de l’industrie ont refusé de vous parler. Comment interpréter ce silence ?

Ce n’est pas faute d’avoir insisté, pourtant. J’ai appelé à de nombreuses reprises l’Association nationale de l’industrie agroalimentaire (Ania), qui n’a jamais répondu à mes demandes d’entretien. Au-delà du fait que c’est dommage pour le documentaire de ne pas avoir leur point de vue, ce refus est incompréhensible. D’autant plus que, dans un éditorial publié dans le rapport annuel de l’Ania, son président, Jean-René Buisson, précise que, face aux attaques répétées des médias, il faut faire preuve de transparence !

Le lobby et les politiques font preuve d’une grande hypocrisie, le tout au détriment des consommateurs…

Disons simplement que le milieu politique n’est pas défavorable à ce lobby. C’est d’ailleurs le cas pour tout intérêt économique. Ce que montre le film, c’est qu’il y a conflit d’intérêts au sommet de l’État. Mais ce qui nous a davantage intéressées, ici, c’est la confrontation des points de vue. Des membres d’un même gouvernement qui se contredisent, cela en dit beaucoup plus long que des chiffres.

Les nutritionnistes semblent écartés des prises de décision. Pourquoi ?

À vrai dire, ils sont partie prenante des décisions. Le problème se situe en fait dans les conflits d’intérêts. Il est difficile de trouver des experts qui ne soient pas influencés par des intérêts économiques. Quand un nutritionniste affirme, par exemple, qu’il n’y a aucun problème, pour un enfant, à consommer de la pâte à tartiner tous les jours, je me dis que ce n’est pas quelqu’un qui réfléchit tout seul. Il semble que la recherche scientifique sache ce qu’il faut consommer ou pas. Mais personne ne le dit. Il faut impérativement que les pouvoirs publics remplissent leur rôle de protection de la santé des citoyens.

[^2]: Les Médicamenteurs, Stéphane Horel, Éditions du Moment, 2010.

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