Les raisons de dire non

Nombre de dispositions inscrites dans le traité budgétaire européen font de celui-ci un instrument fort peu démocratique. Décryptage.

Thierry Brun  • 27 septembre 2012 abonné·es

Le nouveau traité budgétaire européen [^2] est un texte court de 16 articles qui s’inscrit dans la continuité des traités existants. Contrairement à ce qu’affirment ses partisans, le fait d’avoir adopté un « pacte pour la croissance » lors du Sommet européen ne change en rien sa nature austéritaire. Ainsi, dans l’article 1 du TSCG, les chefs d’État et de gouvernement des États membres de la zone euro, signataires du traité, veulent « renforcer le pilier économique de l’Union économique et monétaire en adoptant un ensemble de règles destinées à favoriser la discipline budgétaire au moyen d’un pacte budgétaire ». En résumé, dans un contexte économique défavorable, le nouveau traité veut imposer, avec des critères de déficit budgétaire et d’endettement public très stricts, ce que les traités de Maastricht et d’Amsterdam n’ont pu mettre en œuvre.

« La règle […] est considérée comme respectée si le solde structurel annuel des administrations publiques correspond à l’objectif à moyen terme spécifique à chaque pays, tel que défini dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du PIB aux prix du marché »* (article 3, alinéa 1a). Cet extrait de l’article 3 constitue le cœur du traité et fixe une « règle d’or » contraignante de quasi-équilibre des finances publiques. Cette règle concerne le budget de l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale. De fait, cet article limite considérablement les investissements publics financés par l’endettement, en particulier dans les collectivités, qui prennent en charge 70 % de ces investissements. L’article 3 introduit aussi le concept très controversé de « déficit structurel ». Aucune institution internationale n’est d’accord sur la méthode de calcul de ce « déficit structurel ». En résumé, il s’agit de déterminer le solde négatif des finances publiques d’un pays sans tenir compte de la conjoncture économique ni de mesures ponctuelles ou temporaires, en fonction d’une prévision de sa production potentielle (PIB). Une gageure ! Ainsi, un pays frappé par un ralentissement économique ne pourra pas préparer une politique publique de soutien pour corriger le tir en cas de défaillance de l’économie.

Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a présenté en Conseil des ministres le 19 septembre un « paquet européen » qui met sur un même plan le projet de loi autorisant la ratification du traité budgétaire européen (TSCG) et le fameux « Pacte européen pour la croissance et l’emploi », obtenu triomphalement par François Hollande lors du Conseil européen des 28 et 29 juin. Ce « paquet européen » contient en outre le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, qui assure la mise en œuvre du TSCG.

Cependant, le pacte de croissance est un accord politique issu du Conseil européen, et n’est juridiquement pas lié au TSCG, lequel n’en fait aucune mention. Les parlementaires n’auront donc pas à se prononcer sur ce pacte de croissance, qui ne comporte par ailleurs aucun objectif précis en termes d’emploi et dont les crédits annoncés sont déjà engagés par la Commission européenne.

« Les parties contractantes veillent à assurer une convergence rapide vers leur objectif à moyen terme respectif. Le calendrier de cette convergence sera proposé par la Commission européenne, compte tenu des risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques de chaque pays »* (article 3, alinéa 1b). La Commission européenne est investie d’un pouvoir très important car elle réalisera les évaluations du déficit structurel d’un pays. Elle est le juge et l’exécuteur de la décision, un pouvoir normalement dévolu au Parlement, élu démocratiquement. Si la « règle d’or » n’est pas transcrite dans l’année qui suit la ratification du traité, la Commission européenne peut sanctionner l’État concerné et saisir la Cour de justice. En cas de condamnation, une amende pouvant aller jusqu’à 0,1 % de son PIB peut être requise (article 8), soit deux milliards d’euros par an pour la France.

« Les parties contractantes ne peuvent s’écarter temporairement de leur objectif respectif à moyen terme ou de la trajectoire d’ajustement propre à permettre sa réalisation qu’en cas de circonstances exceptionnelles, telles que définies au paragraphe 3, point b »* (article 3, alinéa 1c). Les défenseurs du traité voient dans cet alinéa une issue de secours permettant au pays concerné de ne pas appliquer immédiatement la règle d’or limitant le déficit à 0,5 % du PIB. Un pays serait autorisé à s’écarter des critères fixés dans le traité. En fait les « circonstances exceptionnelles » sont extrêmement restrictives puisque même une « période de grave récession » ne donne pas forcément le droit de s’en affranchir… Les États doivent en fait toujours converger vers l’objectif « à moyen terme » de quasi-équilibre des finances publiques.

« Lorsque le rapport entre la dette publique et le PIB d’une partie contractante est supérieur à la valeur de référence de 60 % […], ladite partie contractante le réduit à un rythme moyen d’un vingtième par an. » (article 4). Ce mécanisme est très brutal car, en 2011, seuls 13 des 27 États membres de l’UE avaient une dette inférieure à 60 % du PIB, un des critères des traités de Maastricht et d’Amsterdam. Il oblige les États à réduire leur dette à grande vitesse, soit 5 % par an, et à mettre en place des plans d’austérité drastiques sans autre solution. L’exemple grec (tout comme d’autres) montre que l’application de plans d’austérité et un effacement partiel de la dette n’ont pas freiné l’augmentation de la dette publique, en raison du fort ralentissement de l’économie et de la hausse de la charge de la dette. Dans le cas de la France, une réduction de 5 % de la dette publique (1 387 milliards d’euros au premier semestre) contraindrait à trouver 70 milliards d’euros en taillant notamment dans les dépenses publiques, ce qui accentuerait la crise sociale et économique. En fait, dans ses articles 4 et 7, le nouveau traité reprend certaines des dispositions d’un « paquet sur la gouvernance économique », nommé « six packs », un ensemble de six textes européens entrés en vigueur fin 2011. Ces textes visent à renforcer le Pacte de stabilité et de croissance (traité d’Amsterdam), notamment en facilitant le recours à une « procédure de déficit excessif ». Deux autres règlements (« two packs ») sur l’évaluation par la Commission des plans budgétaires nationaux et le renforcement de la surveillance des pays en difficulté financière doivent être adoptés fin 2012.

Un État « qui fait l’objet d’une procédure concernant les déficits excessifs [au-delà de 3 %] met en place un programme de partenariat budgétaire et économique comportant une description détaillée des réformes structurelles à mettre en œuvre pour assurer une correction effective et durable de son déficit excessif » (article 5, alinéa 1). Soumis à une « procédure de déficit excessif », ** l’État concerné devra soumettre son budget et un programme de « réformes structurelles » à la Commission et au Conseil, qui devront l’approuver et en suivre la mise en place. Cet article est une nouvelle arme pour imposer des réformes libérales, car les « réformes structurelles » font référence à la baisse des dépenses publiques, à la libéralisation de l’économie et à la flexibilisation du marché du travail.

« Les chefs d’État ou de gouvernement des parties contractantes dont la monnaie est l’euro se réunissent de manière informelle lors de sommets de la zone euro auxquels participe également le président de la Commission européenne. Le président de la Banque centrale européenne  [BCE] est invité à participer à ces réunions » (article 12, alinéa 1). Il faut un nouveau traité pour inscrire dans le marbre le fait que les chefs d’État ou de gouvernement se réunissent « de manière informelle » pour la « gouvernance de la zone euro » avec le président de la BCE. Cet article est symptomatique du bâclage juridique et confirme le caractère peu démocratique du traité. Il s’agit d’imposer une règle budgétaire contraignante en tenant à l’écart le Parlement européen, mais sans toucher à l’indépendance de la BCE ni à ses missions. Ainsi, au lieu qu’il soit invité de droit, « le président du Parlement européen peut être invité à être entendu » (article 12, alinéa 5).

« Dans un délai de cinq ans maximum à compter de la date d’entrée en vigueur du présent traité,* […] les mesures nécessaires sont prises […] afin d’intégrer le contenu du présent traité dans le cadre juridique de l’Union européenne. » (article 16). Ce point signifie que le traité budgétaire sera intégré aux traités de l’Union, c’est-à-dire à celui de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne. Il s’appliquera donc aux 27 États membres de l’UE… Le futur traité sur l’UE modifié renforcera ainsi considérablement les pouvoirs des instances européennes (Commission, Conseil, Cour de justice) au détriment des Parlements nationaux… et du Parlement européen.

[^2]: Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG).

Publié dans le dossier
Les faux culs du Traité
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