On enferme bien les enfants

Si les dispositifs d’incarcération des mineurs ont évolué au cours de l’histoire, une même obsession les guide : redresser et punir.

Pauline Graulle  • 18 octobre 2012 abonné·es

Imaginez un pays où de petits vagabonds affamés partageraient leur cellule avec de grands criminels. Ce fut le cas en France pendant des siècles. Sous l’Ancien Régime, on incarcère sans distinction adultes et enfants –  les plus jeunes étant toutefois placés avec les femmes jusqu’à leurs 10 ans. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que soit établie une majorité pénale (à 16 ans), et le début du XIXe pour que soient mis sur pied les premiers dispositifs spécifiques pour enfants déviants. Non par philanthropie, mais parce que s’est engagé le débat autour de la prison comme « école du crime »…

La première prison pour enfants ouvre à Paris, rue de la Roquette, en 1836. La Petite-Roquette « se présente comme tout à fait innovante, raconte la journaliste Nathalie Dollé [^2]. Le battage est tel avant sa mise en service que des enfants, séduits par l’annonce d’une nourriture régulière et d’un logement décent, se feront volontairement arrêter ». Las, entre ses murs glacials, cette prison « fondée sur le principe de l’isolement cellulaire permanent » devient rapidement « l’un des pires lieux d’enfermement conçus pour les enfants », rapporte l’historien Jean-Jacques Yvorel. Pendant que les fillettes de mauvaise vie sont envoyées au couvent, les premières « colonies pénitentiaires » apparaissent dans les années 1840. Conçues pour être des « anti-Petite-Roquette », ces maisons de correction au grand air n’offrent en réalité pas un sort plus enviable aux jeunes garçons accueillis dès l’âge de 7 ans, et généralement pour plusieurs années. La colonie de Mettray, dans la campagne tourangelle, gagne rapidement sa réputation de bagne pour enfants. Ceux-ci y sont « exténués par les travaux et contraintes de toutes sortes [qui leur] apprennent à devenir paysans et à se soumettre à l’autorité », relate Nathalie Dollé. Par le travail, il s’agit de fabriquer des corps « à la fois dociles et capables », dira Michel Foucault, qui voit dans Mettray « la forme disciplinaire à l’état le plus intense, le modèle où se concentrent toutes les technologies coercitives du comportement avec du cloître, de la prison, du collège et du régiment ». Pourtant, les colonies continueront de prospérer pendant un siècle. C’est que ces établissements ont le mérite de former une main-d’œuvre très rentable dans une France où l’agriculture puis l’industrie sont en essor.

L’entre-deux-guerres marque le retour à la case « prison ordinaire » pour les mineurs. « La pratique de la détention préventive d’intimidation, la prison “coup d’arrêt”, devient un mode courant de traitement des déviances juvéniles […]. Le séjour derrière les barreaux tient alors lieu de processus de “rééducation” à lui seul », rapporte l’historienne Élise Yvorel [^3]. À la Libération, les Résistants au pouvoir, qui ont connu les camps, voient d’un mauvais œil l’enfermement. Sans pour autant le remettre en cause, l’ordonnance du 2 février 1945, sur laquelle se fonde encore la justice des mineurs, est guidée par un souci d’humanisme : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains », dit le texte en préambule. « L’après-guerre est marqué par l’émergence de la notion de jeunesse, et toute une réflexion sur la post-adolescence voit le jour, ajoute Élise Yvorel.  » À l’orée des années 1950, naissent les « prisons écoles » dont le but est d’occuper et de former professionnellement les jeunes détenus dans le but d’un « reclassement » dans la vie libre. La fin de la décennie est pourtant marquée par un énième « grand enfermement ». Les blousons noirs rôdent. En 1961, 21 300 jeunes occupent les centres fermés. À Fresnes, explique Élise Yvorel, le quartier spécial pour mineurs « satisfait les aspirations sécuritaires du public. Il permet l’utilisation, en toute bonne conscience, de “l’électrochoc carcéral” que certains continuent de considérer comme une “thérapeutique” efficace pour la délinquance, malgré deux siècles de statistiques sur la récidive ».

Après la « parenthèse enchantée » des années 1970, où les foyers et actions éducatives en milieu ouvert semblent suffire à juguler le « péril jeune », les années Thatcher et Reagan donneront naissance à la « tolérance zéro » et à l’abandon du modèle thérapeutique : en France comme ailleurs, la délinquance serait un acte rationnel qu’un durcissement des lois viendrait dissuader. La crise économique des années 1990 renforce le tour de vis, avec la création par Jacques Toubon des Unités éducatives à encadrement renforcé (UUER), rebaptisés centres éducatifs renforcés (CER) par Lionel Jospin. Après la présidentielle de 2002, où l’insécurité devient un enjeu politique central, les « lois Perben » créent les centres éducatifs fermés (CEF), rendant de nouveau « acceptable » l’enfermement de mineurs, dont il faut à tout prix « combattre le sentiment d’impunité ». En 2007, les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) voient le jour, marquant le grand retour des prisons pour mineurs de 13 à 18 ans, cent soixante et onze ans après l’ouverture de la Petite Roquette.

[^2]: Faut-il emprisonner les mineurs ? , Larousse, 2010.

[^3]: Enfants et adolescents en prison « ordinaire » , Crime, histoire & sociétés, n° 11-2, 2007.

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