Tant de cerveaux disponibles

« Ils » sont partout. De Canal + à TF1, de France Inter à RTL, les chroniqueurs-humoristes ont envahi les ondes et les esprits.

Jean-Michel Véry  • 20 décembre 2012 abonné·es

Nicolas Canteloup et Laurent Gerra : deux poids lourds qui doublonnent. Le premier sur TF1 et Europe 1, le second récurrent chez Drucker et au quotidien sur RTL. Gerra s’autorisant des incursions chez la concurrence, avec cette spéciale « Laurent Gerra se permet tout », sur TF1, le 22 septembre. Et ce malgré un spectacle intitulé Laurent Gerra flingue la télé … (2007). Voici pour les cumulards de l’humour gras. En parallèle, une nuée de petits nouveaux a fait son apparition : Camille Combal, Bertrand Chameroy, Mustapha El Atrassi, Redouanne Harjane… Chargés de désamorcer les sujets pesants ou de flinguer des invités spécialement conviés pour cela (Francis Lalanne, Loana, Lesly Turner et autres étoiles filantes de la téléréalité), des proies faciles, garants d’une audience moqueuse. Dès 1998, chez Thierry Ardisson, Laurent Baffie, aujourd’hui sur Rires et Chansons et Paris Première, en est sans doute l’un des pionniers. Détournant avec impertinence l’info au profit du divertissement.

Entre 2000 et 2007, Laurent Ruquier, avec « On a tout essayé », rassemble lui aussi sa tablée d’humoristes, dont il est aussi parfois producteur. Fabrice Éboué sévit chez Marc-Olivier Fogiel en 2006. Dans cette course à l’insolence, Stéphane Guillon, chez Ardisson, viendra se consoler de son éviction de France Inter dans « Salut les terriens », remplacé cette saison par Gaspard Proust. En 2011, Nicolas Bedos bouscule Franz-Olivier Giesbert, le vendredi soir, avec sa « Semaine mythomane », déclinée aussi sur Ouï FM.

Avec parfois des catastrophes industrielles. Anne Roumanoff n’a pas manqué de faire rire sur France 2 avec l’insipide « Roumanoff et les garçons », mais sans doute pas pour les bonnes raisons. Passée rapidement en hebdo, puis stoppée en plein vol et sitôt remplacée par le « Ondar show », lui-même alimenté par les humoristes des deux premières saisons de la quotidienne de « On n’demande qu’à en rire », abrégé en Ondar pour le show du samedi soir. Deux émissions coproduites initialement par Catherine Barma et Laurent Ruquier, lequel, depuis, aurait pris ses distances avec ses protégés : Arnaud Tsamère, Jérémy Ferrari, les Lascars Gays… Mélange de gens et de genre. À l’image de l’émission de Cyril Hanouna, « Touche pas à mon poste », aujourd’hui sur D8, où désormais les rigolos de service sont des journalistes endossant tour à tour les rôles de l’Auguste ou du clown blanc. Thierry Moreau, rédacteur en chef de Télé 7 jours, Christophe Carrière ( l’Express, Première, Radio Nova…) ou encore Jean-Michel Maire ( France Soir, le Figaro …). À mettre en perspective avec « Le Petit Rapporteur », de Jacques Martin, et ses chroniqueurs de haut vol : Desproges, Prévost… Y régnaient une réelle impertinence et une défiance envers les politiques. Du public au privé, pas d’espace médiatique qui ne soit parsemé des interventions, plus ou moins drôles, de ces nouveaux parangons de l’humour forcé en cette époque troublée. Sur France 2, Bruce Toussaint égaye, jusqu’à la fin de l’année, la cacophonie de « Vous trouvez ça normal » avec Matthieu Noël, également sur Europe 1. Sur Canal +, Maïtena Biraben, dans son « Supplément » du week-end, accueille Stéphane de Groodt, avec cependant un sens de l’absurde et du calembour qui tranchent du vulgus.

Toujours sur Canal, après Thomas N’Gijol en 2010 et son humour communautaire, Chris Esquerre déroule son univers pince-sans-rire le vendredi au « Grand Journal », mais aussi sur Inter, chez Frédéric Lopez. Ben ou Sophia Aram (parfois excellente) additionnent scène et chroniques sur France Inter. Guy Carlier, après la matinale d’Europe 1 chez Fogiel en 2011, se lance dans son one man show sous la houlette de François Rollin, lui-même dans la mythique série « Palace » de Jean-Michel Ribes. Côté animateurs, Arthur, Julien Courbet, Patrice Laffont, Christophe Dechavanne, Cauet et même Catherine Laborde revendiquent aussi leurs velléités de scène. Valeur refuge ou panurgisme ? Faudrait-il rappeler les incommensurables prestations de Pierre Dac et de Francis Blanche : « Signé Furax », « Malheur aux barbus »… Artistes complets qui, sur la base d’un vrai talent, pouvaient se permettre le spectacle, la télé, la radio, le théâtre et le cinéma ?

Tremplin, gage d’audience, passerelle vers la scène ou inversement, l’impératif de rire se doit d’être dans toutes les émissions, au prétexte de capter nombre d’auditeurs et de téléspectateurs. Une exception : « Ce soir (ou jamais !) », de Frédéric Taddéi. Un des rares animateurs à ne pas s’entourer d’humoristes ou de chroniqueurs, privilégiant l’analyse et le débat à la gaudriole convenue, qualifiant ces nouveaux intervenants médiatiques de « plaies de la télévision ».

Publié dans le dossier
La crise du rire
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