Capitale de la culture, mais quelle culture ?

Les organisateurs de Marseille-Provence 2013 ont tenté d’ouvrir leur programmation, mais n’ont pu faire taire les divergences.

Erwan Manac'h  • 10 janvier 2013 abonné·es

La fête devrait être belle. Pour les yeux, les oreilles et – espère-t-on – le porte-monnaie des Marseillais. Élue « capitale européenne de la culture », avec la ville de Kosice, en Slovaquie, l’agglomération marseillaise accueillera 800 manifestations en 2013. Une quarantaine de chantiers d’infrastructures ont été lancés ou relancés pour l’occasion, à raison de 660 millions d’euros d’investissements publics. L’association Marseille-Provence 2013 (MP 2013), qui pilote les festivités, a mis sur pied une série d’initiatives pour faire sortir la culture « institutionnelle » de son nid : des résidences d’artistes aux quatre coins du département, l’aménagement d’un circuit de grande randonnée, etc. Les associations ont vu 525 de leurs projets partiellement subventionnés et 350 autres « labélisés » (sans soutien financier) pour intégrer le programme officiel. Les 91 millions d’euros mobilisés pour cette année capitale, financés aux deux tiers par les collectivités, devraient donc largement profiter aux associations marseillaises. « Notre participation a peut-être été pensée un peu tardivement, mais MP 2013 s’est tout de même appuyée sur nous », juge aujourd’hui une professionnelle de l’association Culture du cœur 13, qui invite des publics en difficulté à des sorties culturelles.

Derrière ce satisfecit mesuré, la grande manifestation soulève des critiques presque inhérentes à son ambition. Des petites associations s’estiment exclues de la grand-messe. D’autres, défendant la culture « par tous et pour tous », expriment un désaccord plus politique. MP 2013 est notamment accusé d’accentuer la ségrégation spatiale et d’accélérer la gentrification du centre-ville, car 80 % des équipements de la capitale de la culture sont concentrés sur le territoire d’Euroméditerranée, le long du port. Les projets du programme « quartiers créatifs », censé associer les quartiers nord à la fête, sont au mieux jugés insuffisants, au pire insultants (lire ci-contre). « L’effort a été concentré sur les grands équipements alors que les quartiers du nord et de l’est sont largement sous-équipés. On peut espérer des retombées à la marge, mais la capitale européenne profitera surtout à ceux qui ont déjà accès à l’offre culturelle : les convertis   », regrette ainsi le sociologue Christophe Apprill. Dans une agglomération où la politique culturelle est moribonde [^2], les associations se gardent de cracher dans la soupe. Mais toutes craignent de déchanter dès 2014. « L’année capitale pourra-t-elle être structurante pour la politique culturelle des années à venir ? C’est la question essentielle », interroge Ferdinand Richard, directeur de l’Aide aux musiques innovatrices (AMI) et cofondateur de la Friche de la Belle de Mai, qui accueille 70 structures. « Il faudra faire vivre les structures qui sont sorties de terre en 2013 en trouvant des crédits quelque part. Ce sont les petites structures qui risquent encore d’en pâtir », s’inquiète aussi Sam Khebizi, de Têtes de l’art, association de médiation artistique.

Le discours officiel de MP 2013, dans un contexte de baisse généralisée des aides à la culture, met donc surtout en avant les retombées de l’événement pour l’économie du tourisme. L’association espère attirer 2 millions de visiteurs. « C’est prendre les artistes – et les acteurs culturels en général – pour des munitions dans la grande guerre du tous contre tous que mènent les territoires pour développer leur compétitivité, s’agace   Jean-Michel Lucas, ancien directeur régional de l’action culturelle, connu comme pamphlétiste sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou. Il faut au contraire s’interroger sur les identités culturelles, comment elles peuvent vivre ensemble. Ce sont les vrais enjeux de la création. » C’est le message exprimé, dans un tout autre style, par les activistes du Fric, Front des réfractaires à l’intoxication par la culture. Ils apparaissent depuis quelques mois, encagoulés, dans des vidéos potaches diffusés sur Internet ^3 pour dénoncer « les couillonnades touristico-ludiques de Marseille-Provence 2013 ». Contre la logique de « l’économie créative », un « Off » de Marseille 2013 a aussi été lancé par trois artistes marseillais pour « remettre l’artiste au centre de l’événement » et donner une visibilité à des projets alternatifs. Des subventions et un gros mécénat de la Banque populaire provençale et corse ont été obtenus pour monter une programmation. Ces artistes ont aussi déposé la marque « Marseille 2013 » et espèrent capter une partie des recettes des produits dérivés.

[^2]: En 2008, les villes de la Région Paca investissaient 95 euros par habitant pour la culture contre 118 euros en moyenne nationale, selon une étude de l’Agence régionale des arts du spectacle.

[^3]: Marseille-en-guerre.org 

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