Verbatim : Le mirage des nouveaux droits

Cinq juristes et syndicalistes ont étudié l’accord du 11 janvier dans une note de la Fondation Copernic*. Extraits.

Politis  • 31 janvier 2013 abonné·es

Moins de la moitié du texte est consacré aux « nouveaux droits pour les salariés » (les 11 premiers articles). Si certaines dispositions peuvent être regardées comme allant plutôt dans le bon sens (celui d’une meilleure protection des salariés, de droits positifs améliorant leur condition), elles contiennent d’importantes limites qui menacent jusqu’à leur réalité.

Couverture santé

L’accord prévoit la « généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé » (article 1). Outre que de nombreuses branches professionnelles organisent déjà une telle couverture et ne sont donc pas concernées, la mesure fera l’objet de nouvelles discussions à compter du 1er avril 2013, qui pourront durer jusqu’au 1er juillet 2014. Si l’accord intervient dans ce délai, les entreprises disposeront de 18 mois pour la mettre en place, et si aucun accord n’intervient au niveau de la branche, des négociations devront encore s’engager entreprise par entreprise à compter du 1er juillet 2014, afin d’organiser une couverture minimale des salariés (et d’eux seuls – pas question d’en faire bénéficier le conjoint ou les enfants)… au plus tard pour le 1er janvier 2016. Au-delà de ces délais de mise en œuvre, ce qui est présenté comme un financement de la complémentaire santé par le patronat, en fait, « sera partagé par moitié entre salariés et employeurs ». De plus, ce « nouveau droit » profitera directement au patronat des assurances et exclut la prévoyance, renvoyée à des négociations qui ne s’ouvriront qu’à l’issue de la généralisation de la couverture en frais de santé. Il est, en outre, conditionné au maintien des aides sociales actuellement attachées aux contrats conclus dans ce cadre.

Car le texte précise qu’ « en cas de modification de ces conditions d’exonérations sociales », les dispositions devront être réexaminées. Pour les salariés couverts par un accord collectif organisant leur couverture santé et prévoyance, l’accord (article 2) augmente la durée pendant laquelle ils peuvent les conserver lorsqu’ils quittent l’entreprise (de 9 à 12 mois), en cas de rupture du contrat de travail ouvrant droit à la prise en charge par le régime d’assurance chômage (et sauf faute lourde). Si cette disposition est positive, pointons-en les limites. Elle exclut ceux qui n’auraient pas assez travaillé pour percevoir l’allocation-chômage [^2] ou les démissionnaires, ainsi que les salariés des professions agricoles ou libérales, de l’économie sociale (secteurs associatif, sanitaire et social à but non lucratif), de la presse et de l’enseignement privé (sauf « hors contrat »), les VRP et les officiers ministériels, l’accord national interprofessionnel de 2008 organisant ce droit à la portabilité n’ayant pas été, en 2009, élargi à tous par le ministre du Travail, mais seulement étendu [^3]. Ajoutons que ce droit sera octroyé sous réserve également que le salarié bénéficie bien du droit d’accéder à la couverture santé et prévoyance chez son dernier employeur. Par exemple, si le régime en vigueur dans l’entreprise prévoit une condition d’ancienneté de 12 mois et que le salarié n’a travaillé que 9 mois, il ne pourra évidemment pas bénéficier de la portabilité. […]

Droits rechargeables

L’article 3 prévoit la création de droits rechargeables à l’assurance chômage. Les salariés reprenant un emploi après une période de chômage pourront conserver la partie non utilisée de leurs droits aux allocations-chômage en vue d’une future période de chômage. Cependant, « les paramètres de ce dispositif » devront faire l’objet « sans tarder » d’un examen lors de la renégociation de la convention d’assurance chômage qui devrait intervenir d’ici à la fin de l’année. Sa mise en œuvre n’interviendra donc pas avant l’adoption d’un nouvel accord et sous la réserve de « ne pas aggraver […] le déséquilibre financier du régime d’assurance chômage », qui devrait s’alourdir de 5 milliards d’euros cette année. Traduction : ce qui sera donné à certains chômeurs sera retiré à d’autres. De plus, le salarié ne pourra en bénéficier qu’à la condition de disposer à cette occasion de « nouveaux droits acquis au titre de la période d’activité ouverte par cette reprise d’emploi »  […]. À cette condition, il pourra « ajouter » le reliquat conservé à sa nouvelle allocation. Bref, un nouveau droit soumis à des conditions telles qu’il risque de ne pas concerner grand monde et de se traduire par des mises en cause plus générales du régime d’assurance chômage et des conditions d’indemnisation des chômeurs.

Contrats courts

Le patronat a finalement concédé lors de la dernière séance de négociation l’instauration d’une majoration de la cotisation d’assurance chômage (nommée improprement une « taxe ») en cas de recours au contrat à durée déterminée (CDD), qui nécessitera la conclusion d’un avenant à la convention d’assurance chômage, dont la date d’entrée en vigueur est néanmoins fixée au 1er juillet 2013 (article 4). Actuellement de 4 %, la cotisation pourrait être portée à 7 % pour les contrats d’une durée inférieure à un mois, à 5,5 % pour les contrats d’une durée comprise entre 1 et 3 mois et à 4,5 % pour les contrats dits « d’usage [^4]». Les CDD conclus pour remplacement d’un salarié absent et les CDD conclus pour des emplois à caractère saisonnier sont exclus du dispositif. La majoration ne sera pas non plus appliquée lorsqu’un CDI sera conclu après un ou plusieurs CDD.

Si l’on peut considérer que cette mesure va dans le bon sens, force est de constater que les majorations sont très peu élevées (+ 0,5 à + 4 points) et que les cas d’exemption sont nombreux [^5]. Aucun quota maximal d’emploi précaire n’est, en outre, fixé. Le coût d’une telle mesure est évalué par le patronat à 110 millions d’euros. C’est sans doute la raison pour laquelle il a également fait inscrire à l’article 4 de l’accord l’exonération de cotisation d’assurance chômage pendant 3 à 4 mois pour l’embauche des jeunes de moins de 26 ans, dès lors que le contrat se poursuit au-delà de la période d’essai, mesure chiffrée à 150 millions d’euros. Le patronat reprend ainsi d’une main ce qu’il accepte de donner de l’autre. Cette mesure, enfin, peut être aisément contournée, en toute légalité : l’employeur pourra privilégier l’embauche de salariés en CDD de plus de 3 mois, remplacer les CDD très courts par des contrats de travail temporaire, qui peuvent être conclus pour les mêmes motifs que les CDD, ou compter sur la période d’essai des contrats à durée indéterminée (CDI), qui peut être renouvelée et rompue sans motif ni indemnité.

© Fondation Copernic

[^2]: 122 jours d’affiliation ou 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail (terme du préavis) pour les moins de 50 ans, et 36 mois pour les 50 ans et plus. À l’heure qu’il est, un peu plus de 50 % des chômeurs ne sont pas indemnisés.

[^3]: Les accords interprofessionnels ou de branche peuvent être étendus par le ministre du Travail. Dans ce cas, ils s’appliquent à tous les employeurs compris dans le champ de l’application de l’accord. S’ils sont élargis, ils s’appliquent à tous les employeurs, sans condition.

[^4]: [Déterminés par] « la nature de l’activité exercée et [le] caractère par nature temporaire de ces emplois » (code du travail).

[^5]: Outre ceux déjà mentionnés, il y a lieu d’y ajouter les contrats de travail temporaires totalement exclus de l’accord, la branche du travail temporaire étant simplement invitée à organiser dans les 6 mois de la signature de l’accord une négociation à ce sujet.

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