À contre-courant / La finance de l’ombre contre la démocratie

Dominique Plihon  • 21 mars 2013 abonné·es

Le 22 janvier 2012,  en pleine campagne électorale, François Hollande déclarait au meeting du Bourget : « Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance. Il n’a pas de nom, pas de visage, il ne sera pas élu. Et pourtant il gouverne. » Cette tirade enflammée était suivie d’un déluge de promesses pour une réforme radicale du système bancaire, la lutte contre la spéculation et les paradis fiscaux… Les citoyens français ont soutenu ces engagements par leurs votes.

Aujourd’hui, ils se sentent trahis. L’une des causes principales du recul de la démocratie, c’est précisément ce pouvoir occulte de la finance sur nos vies. Les investisseurs internationaux contrôlent les entreprises et les grandes banques (détenues à plus de 50 % par des actionnaires étrangers) et imposent des rendements élevés au détriment des salariés. Ces mêmes investisseurs étrangers détiennent les deux tiers de la dette publique française et applaudissent à la politique d’austérité et au démantèlement de l’État social. Ce pouvoir terriblement efficace, c’est aussi le lobby bancaire qui porte en France le nom de Fédération bancaire française. Elle intervient à Bercy, avec succès, pour limiter la portée de la réforme bancaire votée ces jours-ci au Parlement. Les énarques qui font la loi à Bercy sont d’autant plus enclins à se soumettre aux pressions des financiers qu’ils pantoufleront demain dans leurs banques afin de tripler leurs salaires… Mais l’une des formes les plus insidieuses et dangereuses du pouvoir de la finance réside dans la banque de l’ombre, le shadow banking system. Regroupant l’ensemble des acteurs – banques d’investissement, fonds spéculatifs et filiales bancaires dans les paradis fiscaux – qui mènent des activités de spéculation, d’évasion fiscale, d’investissement à hauts risques. N’ayant pas le statut de banques commerciales, ces acteurs échappent au contrôle des autorités en charge de la stabilité du système bancaire. Cette banque de l’ombre s’est d’abord développée aux États-Unis, mais elle est devenue tout aussi importante en Europe. C’est aujourd’hui le rouage le plus important de la finance mondiale. Ce système a été l’élément moteur de la crise financière à partir de 2007. En effet, à l’insu des autorités et des gouvernements, cette banque de l’ombre a fabriqué des produits financiers à hauts risques, dits « toxiques », reposant sur les crédits immobiliers distribués aux ménages états-uniens les plus fragiles.

Les banques françaises ont été très actives dans cette finance occulte. Elles ont emprunté massivement sur le marché américain afin de profiter des taux d’intérêt bas pour acheter ces fameux produits « toxiques ». Résultat : elles ont fait des pertes importantes avec la crise, dont elles sont aussi responsables. Ainsi Natixis, la banque d’investissement du groupe BPCE [^2], a-t-elle perdu plus de 5 milliards d’euros dans ces opérations spéculatives. On trouve là une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de séparer les banques d’investissement, tournées vers la spéculation, et les banques commerciales, qui font des crédits aux particuliers et aux entreprises, créent de la monnaie et gèrent les dépôts. Sous la pression du lobby bancaire, le gouvernement Ayrault n’a pas eu le courage de faire cette réforme indispensable [^3].

[^2]: Banques populaires et Caisses d’épargne.

[^3]: Voir « Les 20 propositions d’Attac pour une véritable réforme bancaire », www.france.attac.org

Temps de lecture : 3 minutes