Retraites : la vie à l’économie

La baisse des pensions programmée par le gouvernement affaiblira une population déjà fragilisée. Trois retraitées témoignent de leur quotidien, entre débrouille et résignation.

Julie Droin  • 21 mars 2013 abonné·es

L’objectif de la négociation en cours entre syndicats et patronat : faire des économies, encore et encore. Les réformes de 2003 ont pourtant déjà eu un impact considérable sur les retraités, qui, contrairement aux idées reçues, ont un niveau de vie bien inférieur à celui des actifs. Le protocole d’accord sur les régimes de retraite complémentaire engendrera une nouvelle diminution de leur pouvoir d’achat et creusera les inégalités.

« Il faut se priver »

Yvonne Dromer n’est « que » conjointe d’exploitant agricole dans l’Orne : son statut professionnel n’a jamais été reconnu. Elle a pourtant travaillé toute sa vie à la ferme. Aujourd’hui, il lui reste le minimum vieillesse, 250 euros, ainsi que la réversion de la retraite de son mari, décédé depuis dix-huit ans. Soit 613 euros au total. En quatre ans, seulement 30 euros d’augmentation. « Heureusement, je suis propriétaire » –  5 hectares de terrain et une petite maison auxquels elle tient « comme à la prunelle de [ses] yeux ». Yvonne devra-t-elle vendre ? Elle espère en tout cas que ce sera « en dernier recours ». Malgré ses 76 ans, Yvonne effectue toutes les tâches quotidiennes nécessaires à l’entretien de la ferme. « Je n’ai pas les moyens de payer quelqu’un pour le faire. » Une fois par an, elle vend l’herbe de ses terres. « Cela me fait un petit revenu en plus. » Sa fille travaille, « heureusement ». Un jour, c’est vers elle que se tournera Yvonne : « Vous avez vu le prix des maisons de retraite ? Trois mois de retraite pour payer un mois de loyer ! » Elle et son mari ont toujours fait face : « On a démarré tellement malheureux », jamais de vacances. « Oui, il faut se priver, mais je ne veux pas me plaindre. Le travail, il faut le laisser aux jeunes maintenant. »

« Je vis au jour le jour »

Janine Wallet a 80 ans. À 65 ans, elle quitte la direction de la Répression des fraudes avec un salaire de 1 830 euros. Elle touche aujourd’hui une retraite de 1 500 euros. Une somme correcte, mais Janine, qui habite en banlieue parisienne, doit payer un loyer de 700 euros par mois. « J’hésite à me soigner les dents, les yeux, je vis au jour le jour. » Les premières années ont été confortables grâce à quelques économies mises de côté. Mais la vie a augmenté, pas sa retraite. La nourriture représente un budget important, l’ancienne fonctionnaire fait ses courses chez le boucher et le marchand de légumes pour éviter les grosses quantités. « Je n’aime pas gâcher quand je n’ai pas beaucoup. » Ses deux enfants sont grands et ont du travail. Jamais elle n’ira leur demander de l’aide : « Je préfère manger des nouilles tous les jours ! » Cette année, Janine a dû renoncer aux cadeaux pour ses petites-filles. « Je ne peux pas leur envoyer un chèque de 15 euros, que vont-elles penser de moi ? » Un mot gentil suffira, à regret tout de même. La priorité de Janine, payer son loyer et ses impôts  « C’est comme cela que j’ai été éduquée. » Le reste, on verra. Quant à l’emprunt, pas la peine d’y penser  :  « Je risquerais le surendettement. » Alors elle se débrouille. Tant bien que mal. « J’attendais les soldes de fin d’année pour acheter de bonnes chaussures en cuir, mais c’était encore trop cher. » Elle n’aurait pas hésité lorsqu’elle était encore en activité. « Cette société, je m’y sens mal. Je ne pensais pas que la fin de ma vie serait aussi dure. »

« Il y a plus pauvre »

Gisèle Maurice part en préretraite dans la Vienne à 59 ans. Encore pleine de vie, elle complète sa retraite de 700 euros avec des ménages non déclarés. Après quelques années, Gisèle est rattrapée par la loi, elle n’a plus le droit de travailler. Au début, son train de vie ne change pas. Mais les factures s’accumulent et cette ancienne ouvrière se voit dans l’obligation de déposer un dossier de surendettement. « Il a fallu arrêter de profiter de la liberté, les sorties, les voyages, les vêtements. » Mal conseillée par la banque, elle doit rembourser sur sept ans : « Toutes mes économies, destinées en grande partie à mes enfants, y sont passées. » Quant aux enfants – neuf –, il faut encore les aider de temps en temps. « Un peu de nourriture ou une bricole. » Au moment d’acheter des lunettes, Gisèle se tourne vers eux, « mais ils n’ont pas vraiment les moyens de m’aider. Ce sont eux qui comptent encore sur moi et non l’inverse ». Et lorsque Gisèle est hospitalisée, la facture est salée. « Il a fallu tirer de partout. » Aujourd’hui, à 83 ans, elle explique se priver sans s’en rendre compte. « Je suis coquette mais les belles robes ne sont pas données, une robe pour l’année, ça va. » Les Restos du cœur, elle s’y refuse. « J’ai un toit sur la tête et la santé. Il y a plus pauvre que moi. »

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