Éric Verhaeghe : « La voix des grandes familles »

Ancien membre du Medef, Éric Verhaeghe prédit que le mouvement va se radicaliser sur les questions sociales et fiscales.

Maxence Kagni  • 27 juin 2013 abonné·es

On peut avoir fait partie du Medef pendant trois années et être très critique envers le patronat. En 2011, Éric Verhaeghe a décidé de quitter ce mouvement, dont il juge l’idéologie néfaste. Aujourd’hui, il profite de son expérience pour analyser les évolutions de celui-ci.

Que signifie selon vous l’élection de Pierre Gattaz à la tête du Medef ?

Éric Verhaeghe : C’est une élection à l’ancienne, qui donne un mauvais signal au monde de l’entreprise et aux entrepreneurs. Le mouvement des « Pigeons [^2] » a pourtant montré que ces derniers ont de fortes attentes. Ils ont du mal à être représentés, alors que ce sont eux qui créent de la richesse. Or, Pierre Gattaz représente le capitalisme d’héritage, qui est dominant en France. Laurence Parisot, Ernest-Antoine Seillière, Pierre Gattaz sont des héritiers. Cette élection rappelle que le Medef est d’abord le porte-parole des grandes familles. C’est une victoire pour les appareils et les grandes fédérations, qui confirment sans surprise leur rôle prédominant.

Peut-on parler d’une reprise en main du Medef par l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) ?

Le très influent Cercle de l’industrie mélange volontiers les genres entre politiques et grands patrons du Medef, sans craindre les conflits d’intérêts. Pierre Moscovici en fut l’un des vice-présidents avant d’être nommé ministre de l’Économie. Le député socialiste Alain Rousset, président du conseil régional d’Aquitaine et de l’Association des régions de France, lui a succédé. Ce lobby des « grandes entreprises industrielles » a aussi ses entrées au gouvernement : un dîner-débat était organisé le 10 juin entre grands patrons du Cercle, François Hollande, Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Un autre de ses membres a sans doute facilité ces échanges : Louis Gallois, qui doit sa nomination de commissaire général à l’investissement à François Hollande et à Jean-Marc Ayrault.

On peut le dire, oui. Pierre Gattaz est issu de l’IUMM, il va donc favoriser la vision sociale de celle-ci au sein du Medef. C’est un retour à la situation d’avant la présidence Parisot. Cette dernière avait eu comme objectif de rééquilibrer le poids des fédérations de services au détriment de celles de l’industrie. Le nouveau patron du Medef fera l’inverse : on peut le voir avec la nomination du délégué général de l’IUMM, Jean-François Pilliard, au pôle social du Medef [la commission chargée des relations du travail, de l’emploi-formation et de la protection sociale, NDLR]. Mais cette stratégie dans le rapport de force n’est pas incohérente. Elle correspond à ce que nous vivons aujourd’hui. La population et les hommes politiques demandent une réindustrialisation de la France. Il est donc normal que l’industrie reprenne les manettes du Medef.

Que va changer cette élection pour le mouvement patronal ?

Pierre Gattaz est plus conservateur que Laurence Parisot. Cette dernière avait défendu des causes plus sociétales, plus marginales que ses prédécesseurs. Elle s’intéressait notamment de près à la place des femmes dans l’entreprise. Je ne suis pas sûr que ce sujet intéresse autant Pierre Gattaz, qui n’est entouré que d’hommes. Le nouveau président du mouvement va sûrement se recentrer sur les fondamentaux. Il parle d’un « Medef de combat »  : sa ligne sera plus offensive, notamment concernant la fiscalité des entreprises. Sa vision sera plus ambitieuse que celle de Laurence Parisot : il va probablement se battre pour obtenir une baisse des cotisations sociales, en raison de leur poids sur le coût du travail. Il va aussi s’intéresser à la fiscalité qui touche les chefs d’entreprise, comme l’impôt sur la fortune.

Selon vous, que devra faire Pierre Gattaz une fois élu ?

Trois chantiers devraient être mis en œuvre. Tout d’abord, mettre l’innovation au centre de l’organisation de l’économie française, car c’est dur d’innover en France. Ensuite, Pierre Gattaz devrait repenser les règles du jeu social. Il doit en finir avec la préservation de mécanismes obsolètes, comme le paritarisme, dont le financement des mouvements patronaux dépend. Enfin, il faudrait qu’il reformate le discours patronal. Les patrons doivent admettre qu’ils ont besoin d’employés qui disposent d’une bonne couverture sociale, mais aussi que c’est un élément de la croissance nécessaire à la productivité des entreprises. Le système a certes besoin d’être optimisé, mais il faut arrêter de laisser croire que tout cela coûte trop cher. Les patrons doivent mener leur révolution, en profondeur. Il faut en finir avec cette vision malthusienne qui dit que l’on paie trop, que l’on ne reçoit pas assez d’aides.

Quelles seront les relations du nouveau président du Medef avec le pouvoir socialiste ?

Tout le monde attend de voir comment il va agir avec le gouvernement. Je pense que l’on aura un Medef plus radical, plus combatif. Dans la communication, il sera sûrement sur un ton comparable à celui des « Pigeons ». Pierre Gattaz fera comme les autres avant lui : il va rouler des mécaniques, il ira à la confrontation. Puis, avec le temps, il fera de la r ealpolitik et les relations se normaliseront. Il adoptera l’attitude adéquate pour faire progresser ses positions.

Certains craignent qu’il privilégie moins le dialogue social que Laurence Parisot…

Les patrons sont contraints par la loi de 2008 : toute modification du code du travail doit être précédée d’un accord interprofessionnel. Pierre Gattaz n’aura donc pas le choix. Il devra recourir au dialogue social. Mais de toute façon, actuellement, les accords qui en sont issus débouchent toujours sur une plus grande flexibilité, comme avec le dernier accord national interprofessionnel (ANI). Le nouveau patron du Medef a donc un intérêt objectif à le pratiquer.

[^2]: Ensemble d’entrepreneurs qui se sont fédérés sur les réseaux sociaux pour dénoncer le projet de loi de finances 2013.

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