À l’école des humanoïdes

Dans plusieurs laboratoires européens, des chercheurs travaillent à l’élaboration d’un robot de service, qui serait doué d’une intelligence presque humaine. Tel Icub, « enfant » actuellement en formation à Paris.

Lena Bjurström  • 25 juillet 2013 abonné·es

Àl’Institut des sciences intelligentes et de robotique (Isir), en ce mois de juillet, quelques chercheurs circulent encore dans les couloirs. Dans les salles, les robots sont immobiles, attendant le retour des scientifiques partis en vacances ou en cycle de conférences. Icub, un petit robot humanoïde, est figé, les bras tendus vers un sac de balles en plastique. Objet sans vie, incapable de saisir ces balles sans l’aide d’un humain pour lui dire de le faire. À le voir ainsi, le mythe du robot supérieur, si intelligent qu’il dépasse l’humain en tout point, semble loin. Il incarne pourtant un domaine de recherche en plein développement qui représente déjà un tournant dans l’histoire de la robotique, selon le directeur de l’Institut, Philippe Bidaud. Gare au profane, le chercheur évoque ces travaux sans toujours en sous-titrer les concepts. Et, dans le monde de la robotique, des mots comme « intelligence » peuvent prendre de multiples sens.

Les robots peuvent-ils être intelligents ? En apparence, ils peuvent presque tout faire. Programmé, un robot pourra apporter un café, jouer de la guitare, chanter… Mais placez un obstacle sur sa route, que le programme n’a pas prévu, et il tombera. Quelle que soit la situation, une machine appliquera bêtement son programme. Marchant droit vers la table, son café à la main, il butera sur un obstacle et renversera le café mais tentera toujours d’avancer pour l’apporter. Chacune de ses actions correspond à un ordre inclus dans son programme, entraînant irrémédiablement une action spécifique. Aujourd’hui, les robots possèdent peut-être une capacité de calcul largement supérieure à celle des êtres humains, mais sont incapables de s’adapter aux changements de situation. Se mouvoir en société, éviter un passant dans la rue, acheter une autre marque de riz puisque l’habituelle n’est plus en rayon, tout cela nécessite une adaptation. Interagir avec les humains nécessite des capacités toujours plus grandes de « compréhension » d’une situation complexe, afin de trouver la solution pour y faire face. En d’autres termes, le robot doit, à l’instar de l’être humain, apprendre de ses erreurs et évoluer.

C’est à ces problématiques que travaillent les chercheurs de l’Isir. Sous la grande pyramide de verre du laboratoire, serrée entre deux tours de l’université Jussieu, à Paris, ils tentent de développer des robots autonomes, apprenant sans cesse par eux-mêmes. L’idée n’est pas neuve. Dans les années 1950, Alan Turing, l’un des pères de la robotique contemporaine, évoquait déjà la possibilité de créer un robot doué non pas d’une connaissance « innée », soit intégrée dans son programme, mais d’une intelligence balbutiante, comme celle d’un nouveau-né qui découvre tant son environnement que son corps et ses capacités d’interaction. Des décennies plus tard, l’hypothèse est devenue un domaine de recherche : la robotique développementale, s’inspirant des neurosciences et des théories et mécanismes de la psychologie du développement de l’enfant, testée notamment sur Icub. Un mètre de haut pour une vingtaine de kilos, le petit robot humanoïde possède une structure articulée avec un grand nombre d’actionneurs et de capteurs tactiles, visuels, auditifs… Derrière son visage poupon, des leds s’allument pour lui donner de multiples expressions faciales. Avec sa morphologie proche de celle d’un enfant de 3 ans, Icub est peut-être mignon, mais ce n’est pas un gadget. Élaboré dans le cadre d’un programme européen, il existe en un nombre très limité d’exemplaires, disséminés dans des laboratoires en Europe. En France, trois équipes de scientifiques travaillent avec cet outil pour découvrir les possibilités informatiques de l’apprentissage autonome, et, pour cela, endossent le rôle de professeurs d’Icub.

Dans les vidéos d’étude diffusées par l’Isir, le petit robot semble s’amuser avec des jouets. En fait, il apprend à les reconnaître, à les manipuler, sans qu’un programme ne lui donne les clés des gestes à accomplir. Il se trompe et apprend de ses erreurs. Il peut tenter à de multiples reprises de toucher une balle rouge sans cesse en mouvement, avant de réussir. Icub expérimente, avec une aide minimale des chercheurs, son environnement et son propre « corps », ses capacités de mouvement. Il peut ainsi saisir une tasse fragile sans la briser, « conscient », grâce aux capteurs dans sa main, de sa force et de la délicatesse de l’objet. Les mécanismes de l’apprentissage humain sont extrêmement complexes à élaborer artificiellement. Mais, si ces recherches aboutissent, elles pourraient, à terme, permettre de créer des robots dotés d’une intelligence proche de la nôtre, capables d’apprendre, d’interagir, d’évoluer sans être reprogrammés. En cela, la recherche en robotique développementale ouvre la voie aux robots de service, vieux fantasme de la fiction. Des machines pour faire les courses, plier le linge mais aussi accompagner les personnes âgées, permettant ainsi leur maintien à domicile. L’époque où la connaissance développée par des laboratoires comme l’Isir s’ancrera dans le monde réel, où l’on produira à une échelle industrielle des robots de service à la personne, ne serait pas si lointaine, estime Philippe Bidaud : « Le robot à domicile ? Ça va prendre dix ans. »

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