« Les gens ne font plus confiance aux monnaies »

Philippe Herlin décrypte le phénomène bitcoin et explique pourquoi les banques s’en inquiètent.

Camille Selosse  • 23 janvier 2014 abonné·es

Pour l’économiste Philippe Herlin, le succès du bitcoin s’explique d’abord par un climat de défiance à l’égard des institutions financières et un rejet du monopole de l’État. Il défend un système où coexisteraient les monnaies étatiques et les monnaies alternatives, dont le bitcoin.

Qui achète du bitcoin ?

Philippe Herlin : On n’a pas beaucoup d’informations, car les transactions sont anonymes. Au début, c’était une création de geek qui n’intéressait que les informaticiens un peu alternatifs, et puis le phénomène a pris de l’ampleur fin 2012. Mais l’acheteur n’est pas vraiment monsieur tout-le-monde, car il faut quand même maîtriser l’outil informatique. On peut aujourd’hui passer par des intermédiaires, ce qui permet de ne pas avoir à télécharger la base de transaction, mais on s’expose alors à un risque, car certaines de ces sociétés se sont déjà fait hacker. Comme c’est un secteur tout neuf, le temps n’a pas fait son œuvre de sécurisation. Ce sont les risques des débuts.

Le bitcoin peut-il, à terme, supplanter le système du dollar ou de l’euro ?

Pas vraiment, car il n’y a pas de volonté de puissance d’un État derrière. Le bitcoin fonctionne à la mesure des défauts des autres devises. Plus il y aura manipulation de la monnaie, plus le bitcoin apparaîtra comme un refuge. Les gens peuvent finir par se tourner vers le bitcoin car ils ne font plus confiance aux monnaies officielles, qui sont manipulées, avec par exemple des taux d’intérêt très faibles, ce qui génère des déséquilibres et des bulles. On est dans une période où le fait qu’une monnaie ne soit pas encadrée par une banque centrale peut, paradoxalement, inspirer confiance.

À défaut de le supplanter, le bitcoin peut-il bouleverser le système ?

C’est une vraie concurrence à terme pour les banques. Mais il y en a d’autres plus importantes. C’est le cas d’Orange monnaie, qui fonctionne très bien en Afrique. Les Africains ont peu accès au système bancaire mais ont tous un téléphone mobile, donc Orange a mis en place un système bancaire via les portables. Ce système, instauré en Europe, pourrait faire peur aux banques car les opérateurs télécoms ont les moyens et les réseaux pour mettre en place des systèmes de paiement nettement moins chers. Une autre concurrence peut aussi venir d’Apple, car tous les clients d’iTunes, soit 800 millions de personnes, ont donné leur numéro de carte bleue. Il suffit donc d’autoriser les virements entre deux clients d’iTunes pour gêner les banques. D’ailleurs, Apple refuse le bitcoin, ce qui montre que son potentiel d’affranchissement du système bancaire a été compris. Si un jour Apple se lance, ça pourrait secouer.

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La gauche à Hollande
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