Great Black Music : Un défaut d’éclairage

Dotée d’une scénographie ludique et plaisante, ainsi que d’une illustration sonore de qualité, l’exposition Great Black Music à la Cité de la musique échoue pourtant à faire entendre ce que signifie « musique noire ».

Denis Constant-Martin  • 27 mars 2014 abonné·es
Great Black Music : Un défaut d’éclairage
© **Great Black Music** , Cité de la musique, jusqu’au 24 août. www.greatblackmusic.fr/fr/lexposition/ « Lettre ouverte sur les musiques noires, afro-américaines et européennes », Philip Tagg, Volume ! n° 6 (1-2), 2009. http://volume.revues.org/164

Àl’orée de l’exposition Great Black Music, le visiteur se voit remettre un « smartguide » qui lui permettra d’écouter les exemples musicaux jalonnant le parcours ; ultérieurement, il pourra en envoyer une sélection à son adresse électronique. Dans la première salle, « Les légendes des musiques noires », vingt et un « totems » symbolisent autant de personnalités (dont plus de la moitié des États-Unis) supposées représentatives de ces musiques, liste sans grande surprise, hormis la présence en son sein d’Elvis Presley. On entre ensuite dans la salle consacrée à la « Mère Afrique » pour voir et entendre la diversité des musiques du continent. Elle mène au temple des « Rythmes et Rites sacrés » qui propose un panorama des religions africaines et afro-américaines censé illustrer les relations qui les unissent. La traversée de l’Atlantique ayant ainsi été effectuée, la visite se poursuit dans les « Amériques noires », non sans avoir au passage suivi un « Fil historique » qui illustre comment des musiciens ont puisé dans l’histoire pour stimuler leur imagination créatrice. Sur le versant américain, les États-Unis se taillent la part belle, sans que pour autant les Antilles et l’Amérique du Sud ne soient oubliées. La visite se termine par un « Global mix » dans lequel voltigent les innombrables genres contemporains plongeant leurs racines dans les Afriques et les Afro-Amériques.

Great Black Music bénéficie d’une scénographie attractive. Les documents audio et vidéo sont de qualité et font goûter des trésors musicaux parfois mal connus. De ces points de vue, l’exposition est une réussite. Pourtant, après avoir apprécié une infinité de musiques, on peut en ressortir perplexe, avec le sentiment de ne pas avoir bien saisi le sens de la « musique noire » ici mise en scène. Une hésitation permanente s’y fait sentir, dans les intitulés donnés à l’exposition : « Great Black Music », qui renvoie aux États-Unis des années 1960 ; « La musique noire » ; « Toutes les musiques noires ». Les panneaux, le catalogue, insistent sur le fait que « musique noire » dénote une perspective culturelle plus que raciale. Toutefois, l’agencement du parcours suggère fortement que, de la « Mère Afrique » aux « Amériques noires », c’est l’identité d’origine qui produit des musiques marquées par des « effets et des récurrences » communs. Or, une écoute attentive des exemples musicaux fournit la preuve que ces musiques ont fort peu en partage, sauf ce que signalait le tromboniste George Lewis : un ensemble d’expériences communes, celles de la domination et du racisme. Mais de cela, il est finalement fort peu question. Le lien culturel Afrique-Afro-Amériques privilégié néglige, en outre, le fait que ces musiques sont toutes issues de processus complexes de mélange et d’innovation, dans des situations sociales extrêmement variées.

Au détour d’un panneau (« Les Amériques noires »), il est bien fait allusion à la créolisation, mais cette piste n’est pas explorée. Et c’est dans le vide que le Réunionnais Danyèl Waro doit chanter sa « Batarsité » : « Je ne suis ni Blanc ni Noir/Ma nation est franchement bâtarde. » Une exposition grand public aurait dû dépasser le niveau superficiel auquel en reste Great Black Music pour mieux introduire à la richesse des mécanismes de circulation et de création des musiques. D’autant plus que le débat sur les sujets dont elle traite est très vivant. Les textes publiés naguère par la revue Volume !  [^2] auraient pu conduire à la doter d’un contenu plus riche. À ceux qui veulent prolonger leur plaisir en comprenant mieux ce qu’ils ont entendu, ils offriront un complément précieux.

[^2]: « Peut-on parler de musique noire ? », Volume ! n° 8, 2011. http://volume.revues.org/70

Culture
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