Au bout de l’impasse

L’autodissolution de l’Autorité palestinienne serait la politique du pire pour répondre à la pire des politiques israéliennes.

Denis Sieffert  • 24 avril 2014 abonné·es

Un séisme politique couve au Proche-Orient. Quelque chose dont nous parlons depuis longtemps dans Politis, mais qui paraissait n’être jusqu’ici que conjectures : l’autodissolution de l’Autorité palestinienne. Aujourd’hui, ce n’est plus nous qui le disons, ce sont les plus hauts responsables palestiniens qui en brandissent la menace. Ils ont clairement évoqué cette hypothèse, le 19 avril à Ramallah, devant le médiateur américain, Martin Indyk. Le démantèlement de l’institution créée par les accords d’Oslo, en 1993, pourrait être l’ultime recours du président palestinien Mahmoud Abbas en cas d’échec du plan Kerry. Or, à une semaine de l’échéance fixée par le secrétaire d’État américain, c’est peu dire que cet échec est probable. Après onze allers et retours dans la région depuis le mois de juillet, John Kerry avoue être tout près du renoncement.

Pourquoi cette soudaine dramatisation ? La faute en revient beaucoup à l’administration Obama, qui a sous-estimé l’aveuglement du gouvernement d’extrême droite israélien. Le chef de la diplomatie américaine ne s’est jamais donné les moyens de le faire plier. Au contraire, il a commencé par faire sienne la plus insensée des exigences israéliennes : la reconnaissance par les Palestiniens du caractère juif de l’État d’Israël. Ce qui reviendrait à faire accepter par les Palestiniens la négation de leur propre identité. Rappelons qu’ils sont un million six cent mille, musulmans, chrétiens ou peut-être athées, à être citoyens israéliens. Des citoyens de seconde zone déjà, victimes de toutes les discriminations et de tous les interdits économiques et sociaux. Il faudrait donc qu’ils entérinent eux-mêmes ce statut inférieur, à moins qu’ils n’acceptent d’être transférés en Cisjordanie. Ce qui s’apparenterait nettement à une « purification ethnique ». Avec cette exigence, les ennemis de la paix qui sont au gouvernement israélien peuvent dormir tranquille. Comme l’a dit récemment l’un d’eux, « tout risque de paix est écarté ». Mais ce n’est pas tout ! Le plan Kerry comporte d’autres points sensibles. Par exemple, l’occupation de la vallée du Jourdain par l’armée israélienne, au lieu de la force internationale demandée par les Palestiniens. Enfin, à propos de Jérusalem, on s’apprête à rejouer le coup de Camp David. Le fameux « partage de Jérusalem » qui a si bien marché en 2000. Comme en 2000, on propose aux Palestiniens d’installer leur capitale à Abu Dis ou à Kufr Aqab, deux villes de la banlieue est que les Israéliens situent dans le « grand Jérusalem ». Ce qu’un négociateur palestinien, bon connaisseur de la géographie francilienne, avait fort bien résumé au lendemain de Camp David par cette formule : « On nous a dit “on vous donne la moitié de Paris”, et c’était Créteil. »

Encore faut-il rappeler que le secrétaire d’État américain n’est même pas parvenu, pendant les neuf mois d’une mission qui risque de n’être plus qu’une gesticulation, à obtenir le gel de la colonisation qui continue de galoper. Il n’est pas parvenu non plus à imposer que les Israéliens honorent leurs engagements en libérant les prisonniers palestiniens, comme c’était prévu au terme de l’accord. Et voilà même que M. Nétanyahou et ses ministres ont décidé de retenir les taxes qui reviennent aux Palestiniens au titre de leurs exportations, pour les punir d’avoir demandé leur adhésion à treize conventions internationales dont l’ONU est dépositaire. Il faut relire ces mots pour en mesurer l’absurdité. C’est bien cela : les Palestiniens sont sanctionnés parce qu’ils revendiquent d’être traités en conformité au droit international. On peut comprendre que la coupe soit pleine, après tant de plans dont Michel Warschawski rappelle cette semaine dans Politis le long cortège, avant de plaider pour la campagne de boycott (voir pages 6 à 8).

Or donc, que se passerait-il si les Palestiniens mettaient leur menace à exécution ? Ce serait une décision douloureuse. À commencer pour les Palestiniens eux-mêmes. Quelque chose comme la politique du pire pour répondre à la pire des politiques israéliennes. La conséquence serait d’abord économique. Il reviendrait à Israël d’assurer les salaires des fonctionnaires et la survie de la population, à recréer toutes les administrations à ses frais. Mais, plus encore, les conséquences seraient politiques. Il ne serait plus question de « territoires occupés » ni de solutions « à deux États », mais de populations qui revendiqueraient les mêmes droits, et la même citoyenneté, de la Méditerranée au Jourdain, qu’ils soient juifs, musulmans, chrétiens ou mécréants. Le combat serait brusquement reconfiguré. La conscience universelle serait reconvoquée en des termes qui rappelleraient tout à fait l’époque de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Et la conscience israélienne aussi, celle de la jeunesse de Tel-Aviv qui a fini par tourner le dos à cet Orient si proche et si problématique. Pour autant, s’il était encore possible de faire l’économie de ce douloureux détour de l’histoire, ce serait évidemment préférable. Mais les dirigeants israéliens sont trop aveugles pour comprendre où est l’intérêt de leur pays. Quant aux Américains, penauds et vaincus par l’obstination de leur allié israélien, leur premier réflexe a été de menacer de sanctions… les Palestiniens. Et on voudrait que ce conflit ne soit pas, aux yeux du monde, une insulte permanente au droit et à la morale !

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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