Conférence sociale : Les syndicats quittent la table

Après la défection de Solidaires, la CGT, FO et la FSU ont également boycotté la troisième conférence sociale. Rideau sur ce simulacre de négociation davantage destiné à légitimer un gouvernement aux ordres du Medef.

Thierry Brun  • 10 juillet 2014 abonné·es

La conférence sociale, qui s’est déroulée les 7 et 8 juillet, a mis du plomb dans l’aile à cette kermesse censée « donner corps au dialogue social à la française », selon François Hollande. De cette troisième « grande conférence » entre le gouvernement et les partenaires sociaux, il ne restera pas même l’illusion d’un dialogue. La CGT et FO ont boycotté la seconde journée de ce rendez-vous annuel cher à François Hollande. L’Union syndicale Solidaires avait annoncé, dès le 3 juillet, son retrait de cette « opération de propagande » mettant en « musique la partition du patronat ». Mardi, la FSU était également prête à quitter les tables rondes. Accusé de « mépris » à l’égard des syndicats, Manuel Valls est lâché par un certain nombre de partenaires sociaux après avoir rapidement cédé à la menace du Medef de boycotter la conférence. La feuille de route libérale du Premier ministre, détaillée dans les Échos le 1er juillet, annonçait le report de la mise en application complète du compte pénibilité pour les salariés, dernière obsession du Medef. Manuel Valls en a profité pour remettre sur la table des négociations la suspension des seuils sociaux. Ce qui risque de fragiliser le dialogue social dans l’entreprise. À ces mesures, le Premier ministre ajoute qu’il souhaite « écarter tout risque juridique quand des contrats de moins de 24 heures par semaine sont établis », une autre marotte patronale pour réduire les droits des salariés. Manuel Valls a ainsi exprimé sans détour le choix assumé et exclusif d’une politique de l’offre mise au service de la compétitivité des entreprises, avec une baisse du coût du travail, non conditionnée, à hauteur de « 6,5 milliards en 2015 et de 8 milliards en 2016 », sans oublier la montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), à hauteur de 20 milliards d’euros. En juillet 2012, lors de la première conférence sociale, il n’était pas question d’évoquer ce cadeau fiscal aux entreprises. L’on se souvient que Jean-Marc Ayrault avait attendu le mois de novembre suivant pour présenter cette mesure du « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi », en s’inspirant du rapport de Louis Gallois, ex-grand patron.

En soutenant le redressement judiciaire de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM), le gouvernement de Manuel Valls lâche un service public, malgré plus de deux semaines d’une grève dure lancée par l’ensemble des syndicats (CGT, SAMMM, FO, CFE-CGC, CFDT, CFTC). Préconisée par le secrétaire d’État aux Transports, Frédéric Cuvillier, et Transdev (actionnaire majoritaire, filiale de la Caisse des dépôts et de Veolia Environnement), cette solution, dénoncée par les syndicats comme une « trahison de l’État », signifierait une « disparition et un démantèlement » de la SNCM. Le gouvernement abandonne ainsi le plan industriel de relance mis en place depuis 18 mois, lequel prévoyait la commande de quatre navires plus performants, avec en contrepartie la suppression de 500 postes sur 2 600, et une augmentation du temps de travail. Il cède ainsi aux injonctions des concurrents privés, qui ont tout intérêt à voir la SNCM disparaître. Corsica Ferries avait attaqué à Bruxelles le versement d’aides publiques à la SNCM et obtenu gain de cause, au nom de la concurrence libre et non faussée.

Le pacte de responsabilité, rebaptisé « pacte d’austérité » par les syndicats, a été présenté le 14 janvier de cette année par François Hollande et inscrit illico dans les orientations du programme de stabilité budgétaire pour 2014 à 2017. La négociation sur l’assurance chômage, qui s’est achevée le 22 mars et s’est déroulée au siège du Medef, est une autre illustration de l’absence de réel dialogue social : « Il n’y a jamais eu de vraie négociation en réunion, la CFDT étant dans les étages (du siège du Medef) pendant des heures jusqu’à ce qu’un accord soit conclu et présenté aux autres », décrit la CGT, qui a demandé en justice la nullité de la convention d’assurance chômage. Autre motif de mécontentement des syndicats, les entreprises ont commencé à toucher cette année une partie des 40 milliards d’euros de baisse de charges et d’impôt du pacte de responsabilité, et n’ont pas avancé de contreparties : les accords interprofessionnels nationaux ont réduit les droits des salariés et les quelques négociation de branches professionnelles n’avancent pas. Au point que François Hollande a tout de même lancé un appel en direction du patronat pour aboutir « à de vrais résultats ». De nombreux outils de la politique de l’emploi ont été déployés en 2013, lors de la précédente conférence sociale, notamment les emplois d’avenir et les contrats aidés de durée plus longue. Mais seulement un tiers des contrats ont été signés par rapport aux objectifs.

Le résultat est décevant et pas à la hauteur de l’urgence sociale : « La pauvreté a continué de croître et de s’installer, avec 8,5 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté, dont les deux tiers qui ne parviennent pas à en sortir, 5 millions de chômeurs, dont 3 millions sans aucune activité », rappelle la CGT. Depuis le début du quinquennat de François Hollande, le gouvernement n’a aucun résultat probant à présenter pour justifier sa politique. Or, comme l’a résumé lundi Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, en marge de l’ouverture de la conférence, la « culture » du Medef, c’est «  take the money and run, prends l’argent et sauve-toi ». Bien seule, la CFDT avait aussi matière à protester. Elle a demandé avant l’ouverture « des engagements fermes dans le dialogue social ». « Nous jugerons sur pièces lors de la conférence sociale », a indiqué Laurent Berger, son secrétaire général. Apparemment, il a jugé qu’il pouvait apporter sa caution à la grand-messe. Il serait injuste de ne pas souligner que Manuel Valls a de son côté imploré le patronat de « reconnaître l’effort que la Nation consent pour le soutenir » avec le pacte de responsabilité, et de « s’engager pleinement pour la création d’emplois ». Une prière qui n’a sans doute pas rétabli l’équilibre. Si bien que trois syndicats ont considéré que le gouvernement a franchi un seuil critique dans la poursuite de l’austérité. Il n’aura dorénavant plus à sacrifier au rituel du dialogue social pour justifier ses politiques libérales.

Temps de lecture : 5 minutes