Noël Mamère : « Les intermittents contribuent à reconfigurer le modèle social »

Cofondateur du Comité de suivi des intermittents en 2003, Noël Mamère l’a relancé en janvier dernier. Selon lui, les intermittents sont le symbole d’un combat général contre la précarité.

Ingrid Merckx  • 24 juillet 2014 abonné·es
Noël Mamère : « Les intermittents contribuent à reconfigurer le modèle social »
Noël Mamère est député (ex-EELV).
© AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN

«J’ai l’impression d’assister à la reconstitution d’une ligue dissoute », avait plaisanté Noël Mamère en relançant le Comité de suivi des intermittents du spectacle à l’Assemblée nationale, le 15 janvier dernier. Autour de lui, Jack Ralite (PC), les députés Patrick Bloche (PS) et Laurent Grandguillaume (PS) et le sénateur Pierre Laurent (PC). Ainsi que Denis Gravouil, de la CGT Spectacle, Samuel Churin, de la Coordination des intermittents et précaires, Mathieu Grégoire, maître de conférences à l’université de Picardie, ainsi que les représentants d’organisations professionnelles dont la Société des réalisateurs de films, le Collectif des matermittentes et le Syndeac. Exemplaire, cette collaboration peine cependant à faire contrepoids face au Medef.

Vous avez cofondé le Comité de suivi des intermittents en 2003. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Noël Mamère : Le Medef voulait déjà supprimer les annexes 8 et 10. J’ai créé ce comité de suivi avec Étienne Pinte, qui était député-maire UMP de Versailles, et Marie-Christine Blandin, sénatrice verte. On peut dire que c’est grâce à nous que syndicats et coordination, intermittents et employeurs, ont réussi à travailler ensemble. Ce comité n’était pas simplement une opération d’affichage. Nous avons pris ce dossier très à cœur : nous nous sommes réunis presque tous les quinze jours et avons servi de catalyseur. Pour ma part, j’ai été scandalisé par cette régression qu’a été l’accord de 2003, et dont l’esprit demeure. C’était un mauvais coup à la fois social et culturel. Nous avons rédigé une proposition de loi qui remettait en cause l’accord de 2003, notamment sur la fin de la période de référence de « 507 heures sur 12 mois ». Cette proposition de loi apportait un véritable statut pérenne aux intermittents. L’UMP, avec l’aide d’Étienne Pinte, nous avait promis de voter ce texte. Quand nous l’avons défendu devant l’Assemblée en 2007, les députés UMP l’ont boycotté, et la proposition de loi a été battue.

Ce comité de suivi a été relancé en janvier dernier, à l’Assemblée. Qu’est-ce qui fait sa particularité ?

Nous avons réveillé ce comité au moment des renégociations autour de la nouvelle convention sur l’assurance chômage. Étienne Pinte s’étant retiré de la vie politique, il compte désormais comme politiques Laurent Grandguillaume, Pierre Laurent et moi-même. Les mêmes acteurs qu’en 2003 se sont remobilisés et tournés vers le comité, qui apparaît comme le lieu naturel de la production d’idées et de propositions. Quand on l’a fondé en 2003, le concept était tout à fait nouveau. L’idée était de traduire de manière concrète la collaboration entre des élus et des acteurs de la société civile. L’Assemblée n’avait jamais vu ça. La question de l’intermittence est génératrice d’innovations. Ce régime est unique en Europe et sa vision de la culture demeure très singulière.

Lors de cette réunion, un parallèle a été fait entre le comité de suivi et la lutte contre le traité transatlantique. Pourquoi ?

Je fais partie de ceux qui se sont battus contre l’accord multilatéral d’investissement (1995-1997), qu’on a fini par faire échouer. Et je suis de ceux qui se battent contre le traité transatlantique. La seule chose qu’on ait réussi à obtenir pour l’instant – et on risque de perdre ce combat très ignoré des médias –, c’est que la culture soit sortie du traité. Mais c’est un leurre. Ce qui a été chassé par la porte reviendra par la fenêtre, et je suis d’accord avec les intermittents lorsqu’ils disent qu’il n’est pas question de les traiter comme une exception. Ils se nomment « intermittents et précaires ». Ils sont le symbole d’un phénomène beaucoup plus large qui touche l’ensemble des précaires dans ce pays. Vouloir mettre le monde de la culture à part, c’est lui accorder un traitement spécial mais aussi ne pas vouloir regarder la précarité dans son ensemble.

Pour les intermittents, l’État ne joue pas clairement sa partie dans ce dossier et agit en coulisses tout en laissant le Medef arbitrer sur l’assurance chômage. Qu’en pensez-vous ?

Quand l’État, pour sauver les meubles et éviter des catastrophes dans les festivals et manifestations culturelles de l’été, propose d’abonder le fonds de soutien, il sort de son rôle. Ce n’est pas à lui de le faire mais aux partenaires sociaux. Cela renforce encore davantage le statut à part des intermittents. L’État a nommé un médiateur, Jean-Patrick Gille, qui fait partie des frondeurs à la gauche du PS et avait rendu un rapport très intéressant sur les intermittents. Il avance, mais la situation est compliquée pour lui : les intermittents veulent bien discuter à condition que l’on revienne sur l’agrément de l’accord du 22 mars. Jean-Patrick Gille voudrait trouver un statut pérenne pour les intermittents sur une base d’avant 2003. Or, tout ce qui est en train de se négocier aujourd’hui, c’est à partir de 2003. On n’a pas encore remis en cause cet accord antérieur.

Pourquoi chaque renégociation concernant les intermittents est-elle source de conflit ?

Le patronat ne veut pas entendre parler des intermittents. Il a toujours voulu vider les annexes 8 et 10 de leur contenu ou les supprimer. Les intermittents sont l’une des composantes de ce qui pourrait contribuer à reconfigurer le modèle social.

Comment les parlementaires, notamment ceux qui avaient pris position contre l’agrément, peuvent-ils intervenir dans le débat désormais ?

Le rôle des parlementaires est très faible. Les écologistes ont interpellé deux fois le gouvernement sur les intermittents lors des questions d’actualité à l’Assemblée. La première fois, je me suis adressé à François Rebsamen, qui, quelques semaines avant sa nomination, s’était prononcé contre l’agrément. Et Jean-Louis Roumégas est revenu à la charge une semaine après. Cela n’a rien changé.

Qui peut réellement peser dans ce dossier ?

Aujourd’hui, les seuls qui peuvent faire contrepoids sont les intermittents eux-mêmes, avec l’appui de quelques personnalités politiques. Mais, dans le contexte actuel, avec un Premier ministre qui s’entête quel que soit le conflit, les conditions ne sont pas réunies pour une réelle concertation.

Que peut-on attendre de la concertation Gille-Combrexelle-Archambault ?

Nous avons plus intérêt à jouer la concertation que le conflit, mais il y a toujours ce préalable de l’agrément de l’accord du 22 mars. Je ne pense pas qu’on puisse sortir de ce conflit sans remettre en cause l’accord de 2003. Il faudrait aussi réformer les négociations entre les partenaires sociaux. Mais certains syndicats ont des intérêts particuliers antagonistes avec ceux des intermittents : si FO a signé l’accord, c’est pour rester dans la gestion de l’Unédic.

L’intermittence vous paraît-elle rencontrer certains fondamentaux de l’écologie politique, concernant notamment l’organisation du temps de travail ?

En défendant les intermittents, nous, écologistes, sommes en effet à notre place parce que leur combat correspond à nos conceptions de la société : temps de travail et place de chacun. La fonction du créateur et de l’acteur culturel dans la cité doit être protégée. Elle doit être régie par un règlement différent de celui d’un salarié classique.

Faut-il particulariser ou élargir l’intermittence ?

Les intermittents restent particuliers, même au sein des précaires. Je ne sais pas s’il faut élargir l’intermittence. Pour réussir une extension, il faudrait se demander comment lutter contre la précarité. Et l’heure n’est pas à ce débat puisque la prochaine étape, pour le gouvernement, sera de remettre en cause ce que nous avons voté sur le temps partiel à 24 heures. L’État va probablement encore céder au Medef.

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