« Hollande est l’artisan de l’impuissance »

Face aux impasses de la Ve République, Christian Salmon prône une réinvention démocratique.

Pauline Graulle  • 11 septembre 2014 abonné·es
« Hollande est l’artisan de l’impuissance »
© **Christian Salmon** est écrivain et chercheur. Photo : AFP PHOTO/ ALAIN JOCARD

Christian Salmon publie un ouvrage sévère sur les Derniers Jours de la Ve République (voir encadré). L’auteur du best-seller Storytelling revient sur le quinquennat de François Hollande et la nécessité de changer en profondeur les institutions.

En quoi François Hollande est-il à la fois la victime et le fossoyeur de la Ve République ?

Christian Salmon : François Hollande est victime de l’épuisement de la Ve République en raison du décalage croissant entre le mode de gouvernance très « monarchique » de la Ve et les chaînes d’info en continu ou la pression d’une Europe qui dicte sa loi. Comment être président dans un régime où la Constitution vous attribue tant de pouvoirs et de privilèges pour incarner la nation, alors que cette nation elle-même a perdu sa monnaie et ses frontières ? Le chef de l’État est un homme fragile, malmené par les médias, humilié par des sondages d’opinion, soumis à la surveillance des agences de notation, qui doit négocier ses marges de manœuvre avec la bureaucratie de Bruxelles ou la chancellerie de Berlin. C’est un souverain sans souveraineté. Mais, là où Sarkozy tentait de rehausser la fonction présidentielle en surjouant la familiarité avec les grands de ce monde, en traitant son Premier ministre de « collaborateur » ou en humiliant ses ministres, François Hollande assume sans états d’âme cette fonction présidentielle affaiblie par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui ont contribué à brouiller durablement la répartition des pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif. Avec une forme d’abnégation et de bonhomie, en bon pédagogue, Hollande est devenu l’artisan de l’impuissance. L’hyperprésidence de Sarkozy était une sorte de théâtre de la souveraineté perdue, dans lequel le personnage principal luttait pour donner l’illusion qu’il lui restait du pouvoir ; avec Hollande, le théâtre a fermé ses portes : le roi est nu, on a un président qui rétrécit, un « shrinking president [^2] » .

Vous expliquez dans votre ouvrage qu’à l’intérieur même de la Ve République, certains pratiquent déjà la VIe République !

En effet. Voyez Arnaud Montebourg, qui a fait un pacte avec Manuel Valls pour faire partir Jean-Marc Ayrault de Matignon, et qui a ainsi pesé sur le choix du Premier ministre – alors que, sous la Ve, c’est la prérogative du seul Président. De même, les frondeurs, qui ne veulent plus être des « godillots » et souhaitent renforcer le rôle du Parlement. Le virus de la primaire socialiste a infecté le logiciel de la Ve République en faisant proliférer des figures présidentielles qui concourent, comme dans un jeu de petits chevaux, pour se placer en pôle position en vue de 2017. À peine l’élection terminée, on pense à la suivante. C’est ce que j’appelle le « paradoxe terminal de la Ve République » : alors que l’élection du président de la République au suffrage universel surdétermine de plus en plus les stratégies des acteurs, elle est devenue le principal obstacle à un fonctionnement normal des institutions. La lutte pour le pouvoir prend le pas sur son exercice. En ce sens, le récent départ de Benoît Hamon et d’Arnaud Montebourg doit être analysé comme « l’avant-premier tour » des prochaines primaires socialistes !

Le gouvernement serait une somme d’individus en guerre, ou du moins, qui ne « roulent » que pour eux-mêmes…

Avec ce livre, je voulais aller voir de plus près comment un pouvoir se défait, se démonte. On sait comment on conquiert le pouvoir, comment parfois on passe de la démocratie à la dictature, comment une démocratie se construit. Mais comment se dissout-elle ? Nous en avons l’illustration aujourd’hui, où on change de gouvernement tous les six mois ! Ayrault est parti, mais qu’est-ce que cela a changé au fond ? De très proches du pouvoir m’ont raconté comment le passage d’Ayrault à Valls a déclenché une paralysie de l’État : pendant plusieurs mois, il ne se passait plus rien, comme entre les deux tours d’une présidentielle. Puis le remaniement a eu lieu : les cartons ont été faits, défaits, on a changé de collaborateurs, il a bien fallu un mois pour se remettre dans le bain… Et que s’est-il passé ensuite ? La guerre a repris entre Valls et Montebourg. Et le gouvernement a encore été remanié. Et ainsi de suite. En réalité, la gouvernance ressemble de plus en plus à une mêlée de rugby, d’où émerge parfois un joueur qui marque un essai et progresse de dix points dans les sondages. Aujourd’hui, la question n’est donc même plus de savoir si la gauche peut transformer ou non la société, mais si une gouvernance efficace est encore possible sous ce régime présidentiel.

Une révolution institutionnelle, comme le propose par exemple Jean-Luc Mélenchon, permettrait-elle de tout régler ?

Oui, à condition de préciser qu’un changement de République n’est pas seulement une affaire juridique : c’est un problème politique. La quasi-totalité de la population est exclue ou se sent exclue de la décision, du fait que l’on ne tient pas compte de son vote, comme en 2005 lors du référendum sur le traité constitutionnel, ou que l’on trahit ses engagements de campagne, comme François Hollande depuis 2012. Le système n’assure plus ni la délibération ni la décision démocratique. Comment en sortir ? Par une réappropriation. Une réinvention démocratique au cours de laquelle le peuple lui-même se réinvente. Il faut donc une constituante rassemblant des personnes élues pour une période limitée, dans l’unique objectif d’élaborer une constitution. Nous devons lancer dès maintenant le débat publiquement. D’autant qu’une occasion se présente : la loi sur le référendum d’initiative partagée qui entre en vigueur en janvier 2015. Il faut 4 millions et demi de votants pour demander un référendum ? Qu’à cela ne tienne. Que tout le monde s’y mette, sur les places, à la sortie du métro, sur les marchés… Un seul mot d’ordre : donner de la voix à la démocratie.

[^2]: The Incredible Shrinking Man est un roman américain adapté au cinéma dans les années 1950 racontant l’histoire d’un homme qui rétrécit après avoir été en contact avec un pesticide. Plusieurs journaux anglo-saxons ont mis en scène des hommes d’État « rapetissés » à leur une.

Politique
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