Cécile Duflot : «Nous sommes les derniers à défendre le pacte de changement de Hollande»

Cécile Duflot veut continuer à se battre pour infléchir la politique du gouvernement Valls, et réfléchit à un projet rassembleur autour de l’écologie.

Denis Sieffert  et  Patrick Piro  • 16 octobre 2014 abonné·es
Cécile Duflot : «Nous sommes  les derniers à défendre le pacte de changement de Hollande»
© Photo : AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTIN

Elle dit s’être toujours trouvée au barycentre des attentes du mouvement écologiste depuis qu’elle y exerce des responsabilités. Elle a réglé ses comptes avec François Hollande après deux ans à la tête du ministère du Logement et son refus de participer au gouvernement Valls [^2]. De retour à son poste de députée, Cécile Duflot exploite sa nouvelle liberté pour tisser des liens de la gauche au centre et gagner en influence au-delà d’EELV.

Vous avez sévèrement critiqué le renoncement de Ségolène Royal à l’écotaxe. Les écologistes attendent-ils encore quelque chose de ce gouvernement ?

Cécile Duflot :  Nous continuons de nous battre. Ça fait trente ans que ça dure. Il faut continuer à le faire, car nous obtenons des résultats, même s’ils sont insuffisants. La loi de transition énergétique dont vient de débattre l’Assemblée nationale va dans le bon sens, avec de bons objectifs. Mais nous devons aussi dénoncer l’aberration de l’annulation de l’écotaxe et l’absence de moyens financiers pour la transition. Il y a un problème de courage politique pour faire coïncider les discours et les actes en matière d’écologie.

Les socialistes sont-ils encore des alliés ? Quelles conséquences tirer de cette incompatibilité entre leurs objectifs et les vôtres ?

Je constate plus qu’un recul, un désaveu de leur propre discours. Concernant Ségolène Royal, c’est même très mystérieux : elle avance par sa loi, tout en faisant le contraire en abandonnant l’écotaxe. Mais je suis une écologiste, je connais donc la gravité de la situation et l’urgence d’agir. Je suis la même qui allait négocier la taxe carbone dans le bureau de Nicolas Sarkozy. Je n’ai pas de raisons d’en faire moins avec les socialistes. Je continuerai donc de me battre pour l’écologie et pas contre tel ou tel. Ma détermination est intacte pour faire avancer les dossiers, quels que soient les moyens pour cela.

Vous dites ne pas être passée dans l’opposition. Vous sentez-vous encore dans la majorité ?

Mais qu’est-ce que la majorité aujourd’hui ? Celle qui a été élue en 2012 mène-t-elle la politique annoncée ? Qui est sorti de la majorité, ce gouvernement ou les écologistes ? Ces derniers n’ont pas changé de point de vue et continueront de voter tout ce qui faisait partie du pacte d’engagement d’alors. Nous sommes finalement les derniers à défendre le pacte de changement qui a fait élire François Hollande.

Êtes-vous satisfaite du compromis obtenu sur le nucléaire dans la loi de transition énergétique ?

Chaque petit pas est bon à prendre, mais bien sûr j’aurais voulu aller plus loin. Cependant, après trois années de lutte, du bras de fer de l’accord PS-EELV de novembre 2011 au rapport de Denis Baupin sur le coût de la filière, nous pouvons dire que nous avons fait avancer la bataille du nucléaire. Après être partis de tellement loin, nous faisons aujourd’hui craquer les coutures. En dépit d’oppositions exprimées notamment par des représentants de l’UMP, du MRC ou du PC à la tribune de l’Assemblée nationale, le principe du recul de la part du nucléaire de 75 % à 50 % est acté. Tout le monde a admis cette idée, qui était inimaginable il y a cinq ans à peine. En outre, il faut souligner une autre avancée très importante, l’article qui impose une visite de sûreté et une enquête publique avant toute décision de prolonger le fonctionnement d’un réacteur au-delà de 40 ans. De fait, il deviendra impossible de valoriser artificiellement l’amortissement d’une centrale par projection de sa durée de vie à 60 ans, comme EDF le faisait jusqu’à présent. Le politique reprend un peu la main sur le pilotage du nucléaire, comme sur l’ensemble du secteur de l’énergie, où la loi impose la division par deux des consommations d’ici à 2050. Alors que primait jusqu’ici le maintien du tout-nucléaire, sans souci du gaspillage, on inscrit le recul de l’atome dans une société visant la sobriété. C’est une vraie rupture.

Cette loi correspond donc à vos attentes ?

Non. Elle est bien loin des enjeux et de la nécessaire sortie du nucléaire que nous défendons. Dans le contexte, c’est un compromis qui fait avancer les choses. Mais je ne me dis pas satisfaite, car reste en suspens la question des moyens. Ainsi, à défaut, le très bon objectif de la rénovation thermique de 500 000 logements anciens par an ne resterait qu’un engagement de papier. Les intentions sont bonnes, mais les moyens d’agir sont absents. À ce titre, l’abandon de l’écotaxe est un très mauvais signe – au moins deux milliards d’euros de manque à gagner par an ! L’Allemagne, qui applique une écotaxe, en retire deux fois plus. La France prend encore une fois du retard…

Ségolène Royal veut remplacer l’écotaxe par des prélèvements supplémentaires sur les sociétés qui gèrent les autoroutes. Est-ce une bonne solution ?

Ce nouveau recul est désespérant de manque de vision. S’il y avait une véritable volonté politique, on renationaliserait les autoroutes. La privatisation s’est faite à toute vitesse, sous le gouvernement Villepin, et a donné des conditions très avantageuses à ces sociétés. En cas d’accroissement de la fiscalité, leurs contrats prévoient un allongement des concessions ou une augmentation des tarifs de péage. Résultat, on ferait payer les particuliers au lieu des transporteurs !

Vous avez annoncé que vous ne voterez pas le budget 2015. Pensez-vous pouvoir entraîner les autres députés EELV derrière vous ?

Tel qu’il est présenté, le budget 2015 ne permet pas plus de répondre à la crise économique qu’à la crise écologique. Il est en décalage avec les besoins du pays comme avec les engagements pris devant les Français. Sauf changement majeur, je ne vois pas comment nous pouvons le voter, mais le groupe prendra sa décision en temps utile.

Europe Écologie-Les Verts semble aujourd’hui en manque de stratégie…

Il n’y a pas vacance de stratégies, mais une forme de stupéfaction des militants. Qui s’attendait, deux ans et demi après la victoire de François Hollande, à ce que nous en soyons là ? Qui s’attendait à entendre un ministre du Travail d’un gouvernement de gauche dire qu’il faut renforcer le contrôle des chômeurs ? Nous savions que ce ne serait pas facile, nous étions prêts à des compromis, mais pas à des renoncements.

Croyez-vous encore possible de travailler avec les socialistes, ou bien faudrait-il désormais privilégier d’autres alliances ?

Les écologistes ont tiré plusieurs leçons depuis 2008, quand ils ont exprimé leur volonté de se rassembler. Nous y avons assez bien réussi avec le succès aux élections européennes de 2009 puis aux régionales de 2010. Cependant, le sujet aujourd’hui ne se résume pas à une mécanique entre partis. Notre époque affronte une double difficulté politique. D’abord, la fin de la logique de la Ve République. On a pu penser, à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, que le vrai problème était son exercice très solitaire et velléitaire du pouvoir. Mais avec François Hollande, en dépit d’un profil très différent, on constate les mêmes blocages : tout est renvoyé vers le seul personnage du Président. Ensuite, on touche aux limites du productivisme. Le modèle du XXe siècle, qui a culminé lors des Trente Glorieuses, est excessivement consommateur de ressources naturelles, il ne peut durer davantage. Ces deux impasses, soubassement du débat politique, le font craquer en surface. Ni la social-démocratie, un peu vieillissante, ni les libéraux n’arrivent à s’en sortir. D’où l’immense difficulté du gouvernement. Comme il ne dispose pas des 3 % de croissance sur lesquels il comptait pour conserver les équilibres, François Hollande en est à couper dans les budgets de l’État, recette traditionnellement libérale, de plus poussée par l’Union européenne. Aussi le vrai débat, pour nous, c’est le rassemblement autour de l’écologie, et pas d’indiquer quelle gymnastique de coalition entre partis il faudrait pratiquer. La priorité est à la définition d’un projet de transformation sociale autour de l’écologie – intense en emplois en régime de bas niveau de croissance –, seul moyen de s’en sortir tout en gardant pour objectif de réduire les inégalités et d’accroître la justice sociale. Donc, le sujet n’est pas de décider d’alliances « plus à gauche » ou « moins à gauche », ce n’est pas binaire. Il s’agit de travailler autrement à l’élaboration d’un nouveau projet. Et, parmi les partenaires possibles, il y a certains socialistes tout comme des opposants de « la gauche de la gauche ». Il incombe aussi aux écologistes de s’affranchir de leur double culture historique : jouer le rôle d’un contre-pouvoir et appartenir à une minorité. Il faut aujourd’hui endosser la fonction de la complémentarité : mettre en place une plateforme de covoiturage contribue autant à la politique de transport que les initiatives du ministre, l’articulation entre politique institutionnelle et collaborative se développe. Quant à la culture minoritaire… Il faut nous décomplexer et imaginer que l’écologie devienne un jour une politique majoritaire. C’est à cela que je m’emploie.

Vous semblez définir les contours d’une recomposition politique, avec des clivages passant au sein du PS et de la gauche…

… Voire des centristes qui auraient renoncé à leurs tropismes droitiers. Je parle en mon nom propre, puisque je n’ai plus de responsabilités au sein de mon parti. Je me sens très libre et je m’autorise à parler avec tout le monde pour comprendre ce que pensent les uns et les autres, et lever des inquiétudes également. Mais je ne ferai pas part de mes échanges… Je sais que cela peut apparaître déstabilisant, parce qu’on a tendance à raisonner en termes de familles politiques classiques. Nous avons regroupé les écologistes avec la création d’Europe Écologie-Les Verts. Maintenant, il faut nous atteler à rassembler autour de l’écologie. Ce qui ne veut pas dire « derrière EELV », mais avec tous ceux qui se reconnaissent dans ce projet. C’est une responsabilité, une obligation, parce que nous vivons une époque où les politiques classiques, dont les socialistes, ne croient plus possible de mener un projet social. Et une partie de l’opposition de gauche participe à ce climat. Ceux qui adoptent un ton de plus en plus agressif vis-à-vis du gouvernement renforcent sa conviction que l’on ne peut pas parler avec eux – posture très confortable ! Je l’ai amicalement dit à Jean-Luc Mélenchon. Pour ma part, je continuerai à parler aux socialistes. Ainsi, alors que le débat entre le PS et EELV était assez polarisé, nous avons trouvé les moyens de discuter pour améliorer le texte de loi de transition énergétique, qui était assez faible au départ. Nous avions des exigences fortes pour aboutir à ce compromis, mais nous avons dit aux socialistes que, s’ils y donnaient droit, nous serions loyaux. Voilà le genre d’état d’esprit dans lequel j’entends travailler.

Que pensez-vous du processus de marche vers la VIe République proposé par Jean-Luc Mélenchon ?

La VIe République est un combat de longue date pour toute une frange de la gauche. Depuis les années 1990, Jean-Luc Mélenchon y joue un rôle majeur. Par ailleurs, il analyse très bien l’impasse du productivisme et la rupture démocratique. Nous avons des convergences. Mais sa démarche semble s’inscrire dans la logique présidentielle. Pour moi, sans attendre, nous devons faire advenir la transformation démocratique dans les mois qui viennent et l’imposer à la majorité. Mettons-nous autour d’une table et trouvons les voies de ce changement. Nous n’avons que trop attendu.

Seriez-vous prête à examiner la question si elle était mise sur la table avec l’ensemble des partenaires intéressés ?

Oui, et je propose que nous acceptions de rassembler la coalition la plus large autour de ce projet afin que nous confrontions nos visions. Depuis toujours les écologistes ont inscrit à leur programme une remise en cause de la Ve République présidentialisée, la proportionnelle au Parlement, le mandat unique… Je pense cependant que nous aurons du mal à abandonner l’élection au suffrage universel du Président, cela pourrait être perçu par les Français comme l’amputation d’un droit démocratique. Mais rien n’interdit, comme au Portugal ou en Finlande, de réfléchir à des fonctions présidentielles qui n’empiètent pas, constitutionnellement, sur les affaires de politique intérieure.

Cependant, rien n’indique, notamment à l’échelon d’une Union européenne très libérale, que les choses pourraient bouger dans ce sens… 

La résistance au changement et à l’écologie se trouve d’abord du côté des élites. En revanche, les Français sont infiniment plus près de nos aspirations qu’elles, sur la transition énergétique par exemple. L’opinion publique change, et plutôt rapidement. C’est aussi vrai pour les entreprises, c’est l’une des révélations que je retire de mon passage au gouvernement.

En 1974, René Dumont se présentait à la présidentielle. EELV a fêté cette année 40 ans d’écologie politique. Quel bilan, quelles perspectives pour le mouvement ?

Je ne crois pas que les fondateurs auraient imaginé que l’on attendrait aussi longtemps pour prendre en compte les catastrophes écologiques. On ne peut pas se satisfaire de voir où en sont restées les politiques publiques aujourd’hui. Une des leçons, c’est qu’il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier. Dans ce domaine, Daniel Cohn-Bendit, qui prône le fait de réinventer sans cesse la politique, a été pour moi un maître absolu. Aussi, je le dis avec humilité, nous ne suffirons pas à la tâche. Il faut rassembler au-delà de ceux qui sont « nés » dans l’écologie. Nous avons les idées, mais nous ne pouvons plus rester seuls.

Cela ne revient-il pas à dire que la notion de gauche n’est plus pertinente aujourd’hui ? 

La ligne de fracture historique passe désormais non seulement entre les conservateurs et les progressistes, mais aussi, aujourd’hui, entre les productivistes et les non-productivistes. De mon point de vue, le clivage ne peut donc plus être binaire, entre droite et gauche. Celui qui se réclame le plus souvent de la gauche, c’est peut-être Manuel Valls ! Quel sens cela a-t-il ? Mes convictions sont intactes, peut-être même renforcées par la pratique du pouvoir, mais je me suis un peu déliée des étiquettes, il faut regarder plutôt ce que font les gens et ceux qui ont du courage.

[^2]: De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion , Cécile Duflot, Fayard.

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