Un certain Monsieur Dijsselbloem…

MM. Hollande et Valls ont perdu depuis longtemps la confiance de ceux qui les ont portés au pouvoir, sans gagner celle des libéraux.

Denis Sieffert  • 16 octobre 2014 abonné·es

Le décor est planté pour ce qui est un peu « la mère de toutes les batailles » dans le champ politique désormais européen : le débat budgétaire. D’un côté, des socialistes frondeurs, les Verts et le Front de gauche ; de l’autre, les gardiens du temple de la zone euro ; et, entre les deux, François Hollande et Manuel Valls, que l’on finirait par prendre en pitié s’ils ne s’étaient pas eux-mêmes placés dans cette inconfortable situation. La confrontation a lieu sur deux terrains : à l’Assemblée, où un long débat débutait mardi ; et à Bruxelles, où la copie du gouvernement français risque fort d’être retoquée, puisque telle est désormais la prérogative de la Commission européenne.



Malheureusement, il ne s’agit ni d’un western ni d’un match de catch. C’est le sort de notre pays pour les prochaines années qui est en jeu. Car si les protagonistes visibles de cette opposition ont un nom et un visage, ce sont derrière eux des forces sociales qui agissent en profondeur. Derrière quelques élus résistants de gauche, « frondeurs » et autres, il y a la majorité de nos concitoyens. Et, derrière les cerbères de l’orthodoxie budgétaire, on aperçoit le Medef, les agences de notation et les marchés financiers. Le projet de loi de finances 2015 a tout lieu d’inquiéter la gauche, la vraie gauche, et les écologistes, comme l’explique cette semaine dans Politis Cécile Duflot. Mais il met également en furie, pour des raisons symétriquement opposées, un certain Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe, aréopage constitué des dix-sept ministres des Finances de la zone euro.

Ce personnage trop peu connu dans nos campagnes – c’est lui le« gardien du temple » de l’orthodoxie budgétaire – vient de tancer sévèrement la France dont le budget, a-t-il jugé, « est assez loin de l’objectif ». Et c’est un fait que, malgré leurs efforts, MM. Hollande et Valls sont encore loin, avec un déficit de 4,3 % du PIB, des 3 % réglementaires.
Notre censeur vise aussi « le nombre et la qualité des réformes ». Il estime que les deux ans de délai supplémentaire accordés à la France en 2013 pour qu’elle réduise sa dette ont été mal « utilisés ». Pas assez de « réformes ». Pas assez de baisses du coût du travail. Encore trop d’État, probablement trop de Sécurité sociale et trop de politique familiale. On reste interdit devant l’audace de ce personnage. Jamais, sans doute, on est allé aussi loin dans l’ingérence et, pour tout dire, dans le mépris de la souveraineté populaire. La Grèce, bien sûr, a déjà connu de pires outrages, mais la France pas encore.



Pour laver l’affront, Manuel Valls nous a gratifiés d’un de ces mouvements de menton qu’il affectionne, et qui trahissent généralement l’impuissance et annoncent la soumission. On devine trop la suite. C’est Emmanuel Macron qui nous en donne un aperçu quand il annonce une nouvelle offensive contre l’assurance chômage, reprenant une menace exprimée quelques jours auparavant par Manuel Valls, et mollement contredite par François Hollande. Puisque notre exécutif a adopté un mode de communication qui date de l’époque des diligences, quand on pouvait dire une chose à Paris et son contraire à Bruxelles, sans crainte d’être démasqué dans l’instant.
La tragédie de MM. Hollande et Valls, c’est qu’à ce jeu, ils ont perdu depuis longtemps la confiance de ceux qui les ont portés au pouvoir, sans gagner celle des libéraux. Voilà le champ de ruines sur lequel titubent désormais nos dirigeants. La leçon est rude. Ce qui s’appelle tout perdre ! Mais s’il ne s’agissait que de leur sort personnel, on s’en remettrait. C’est hélas l’avenir de toute la gauche qui est en jeu. Car le plus grave dans l’admonestation bruxelloise, ce n’est pas l’austérité. Ce ne sont même pas les coupes claires exigées dans le budget et déjà partiellement opérées par le gouvernement. Le plus grave, ce sont évidemment les fameuses « réformes de structure ». M. Dijsselbloem ne se contente pas d’exiger de notre pays qu’il fasse davantage d’économies, il veut que l’on adopte un autre modèle. Il nous dit la société dans laquelle il faut que les Français vivent à l’avenir. Il nous conseille avec insistance de liquider l’État providence.



 Pour résister à cette sommation, il aurait fallu que MM. Hollande et Valls puissent s’appuyer sur une « base sociale », pour parler « marxiste ». Il aurait fallu qu’ils puissent invoquer le legs historique de ce pays, ses acquis sociaux, et s’en réclamer. Mais ils parlent le langage de M. Dijsselbloem. C’est dans sa logique qu’ils s’inscrivent. Ils relaient l’incroyable pression qui s’exerce sur notre peuple comme sur les autres peuples européens. Ils s’efforcent tout au plus d’en tempérer la fougue par crainte de mouvements sociaux. D’où les efforts de Michel Sapin pour convaincre ses procureurs européens que nous allons bien dans leur direction, et que c’est juste affaire de rythme. C’est la toute petite rébellion de Manuel Valls, lui qui, de passage samedi à Blois où se tenaient les « Rendez-vous de l’Histoire », s’est autoproclamé « rebelle ». Pour redevenir sérieux, la vraie rébellion, la résistance, la fronde, ce n’est évidemment pas de ce côté-là qu’il faut l’attendre. C’est d’abord du côté de ce que la gauche compte de femmes et d’hommes à l’Assemblée, pour un débat qui va bien au-delà des questions budgétaires.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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