Triste promesse de l’Aube

L’espoir nous vient de l’étranger. En Grèce, Syriza est donné favori. En Espagne, le tout jeune parti Podemos connaît une progression fulgurante.

Denis Sieffert  • 18 décembre 2014 abonné·es

Ce n’est certes qu’une élection partielle. Et dans une circonscription, la 3e de l’Aube, solidement ancrée à droite. Mais comment ne pas en tirer des enseignements nationaux, tant les résultats des 7 et 14 décembre corroborent ce qui semble être la tendance lourde du moment [^2] ? Comment ne pas apercevoir un peu de notre avenir dans cet instantané ? Résumons : une abstention qui donne le vertige, un effondrement total du Parti socialiste éliminé au premier tour, des effets collatéraux sur tout ce qui se réclame de la gauche, et pour finir, un duel entre les candidats de droite et d’extrême droite. Au passage, ce scrutin édifiant a au moins le mérite de dissiper une illusion entretenue par nombre de commentateurs depuis deux ans : non, le Front national ne progresse pas. Le parti de Marine Le Pen perd même un bon paquet de voix par rapport à 2012. Nos analystes médiatiques confondent le relatif et l’absolu.

Il en va donc de l’Aube comme de partout ailleurs. Deux phénomènes entraînent tous les autres : l’abstention et l’effondrement du PS. Et la Bérézina des socialistes est évidemment la cause principale de la désaffection massive des électeurs. L’ironie du sort a voulu que le candidat socialiste qui a subi cet affront ne soit pas, loin s’en faut, le plus mauvais des hommes. Proche de Benoît Hamon, il est le premier à faire la critique de la politique du gouvernement et à prédire à son parti le sort de feu la SFIO. C’est-à-dire une quasi-disparition. Mais nos concitoyens ne font pas le détail. Et ils n’ont pas tort. Il appartient donc aux frondeurs, et assimilés, de se distinguer encore plus nettement de MM. Valls et Hollande s’ils ne veulent pas être embarqués dans leur débâcle. Car on a bien compris que ceux-là ne bougeront pas une oreille. Un reniement n’attend pas l’autre. Après l’affaire, hautement symbolique, du travail le dimanche, voici maintenant l’enterrement de la taxe sur les transactions financières. Cette idée lumineuse née en France va-t-elle mourir en France après avoir été déformée, triturée, dénaturée ? C’est Attac qui l’avait relancée pour frapper au portefeuille les spéculateurs et financer la solidarité Nord-Sud, c’est notre ministre des Finances qui tente de la liquider pour plaire au lobby bancaire. Dans les deux cas, le travail du dimanche et la taxe, nous avons eu affaire à un renversement total du discours des dirigeants socialistes. Nos télévisions s’en sont d’ailleurs donné à cœur joie ces derniers jours en rappelant les discours indignés des opposants d’hier, devenus les gouvernants d’aujourd’hui, quand la droite évoquait le travail du dimanche. Et il est superflu de rappeler ici les rodomontades du candidat Hollande contre la finance.

Tout cela est connu. Et ce n’est presque pas l’essentiel. Le pire n’est pas la disgrâce du Parti socialiste. Le pire n’est pas la victoire programmée de la droite ni même les avancées toutes relatives du FN. Le pire, c’est le coup porté à la gauche dans sa totalité, éclaboussée dans toutes ses sensibilités et ses courants. La crise de confiance est ravageuse pour tout le monde. Elle atteint l’os de la démocratie en chassant de l’espace politique l’expression des colères et l’idée même du débat. Dieu sait comment cette colère s’exprimera demain. Nul ne peut s’exonérer d’une réflexion sur cette situation. Depuis quelques jours, le gouvernement se lance dans une opération « reconquête ». Nous l’évoquions ici la semaine dernière, les chargés de com sont à l’ouvrage. Le discours de François Hollande sur l’immigration, certes plus sympathique que celui d’un Nicolas Sarkozy, mais sans effets réels, en fait partie. Comme le plan de rénovation urbaine présenté le 16 décembre. Mais personne n’est dupe. Un changement réel est impossible dans le cadre d’une politique d’austérité.

Alors, quoi ? Faut-il désespérer ? Non, bien sûr, car l’espoir nous vient de l’étranger. En Grèce, Syriza est donné favori en cas (probable) de législatives en janvier. En Espagne, le tout jeune parti Podemos, issu du mouvement des Indignés, connaît une progression fulgurante. Et le mouvement social a pris la rue ces jours-ci en Italie comme en Belgique pour protester contre une politique qui ressemble point pour point à celle de MM. Valls et Macron. Alors, pourquoi pas « nous » ? À cela, il y a des raisons objectives : la France n’a pas connu la même intensité de crise que la Grèce. Il faut évidemment s’en féliciter, même si nous avons tout l’avenir devant nous… Et le PS n’est pas le Pasok. Pas encore. Mais, sans doute, les composantes de la gauche sociale et écologiste ont-elles aussi à « faire un travail sur elles-mêmes », comme disent les psy.

[^2]: Au premier tour, le candidat du PS a perdu plus de 8 000 voix par rapport à 2012, chutant de 28,79 % à 14,69 %. Le FN progresse en pourcentage, mais perd plus de 2 000 voix. L’abstention a dépassé les 75 %.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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