Aux Lilas, les sales manœuvres d’un fonds vautour

Aux Lilas (93), les salariés de la blanchisserie industrielle RLD se battent aux côtés des élus contre l’actionnaire principal du groupe, qui veut fermer le site dans un but spéculatif.

Thierry Brun  et  Charles Thiefaine  • 19 février 2015 abonné·es
Aux Lilas, les sales manœuvres  d’un fonds vautour
© Photo : Charles Thiefaine

Quelques employés en blouse blanche traversent la rue des Bruyères pour rejoindre l’un des deux grands bâtiments de Régie linge développement (RLD), la blanchisserie industrielle des Lilas, en Seine-Saint-Denis. Les façades sont couvertes de tracts et de tissus accrochés aux fenêtres par les salariés, engagés dans un mouvement social qui a débuté en décembre par une semaine de grève, après l’annonce par le groupe RLD d’un projet de fermeture de l’usine.

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Cible de la plupart des slogans, le « fonds vautour » Vermeer Capital Partners. C’est l’actionnaire principal de RLD, spécialisé dans l’entretien de vêtements, de linge et d’équipements d’hygiène, qui compte plus de deux mille salariés. « Le seul but de ce prédateur  [devenu actionnaire principal en 2013] est d’effectuer de l’achat et de la revente de sites industriels afin d’augmenter ses profits pour distribuer des dividendes à ses actionnaires. Ne comptons pas sur  [lui] pour avoir des états d’âme sur nos conditions de travail et nos emplois », assure l’intersyndicale CGT, CFDT et FO du site. Bruce Kalonji, préparateur de commandes et délégué syndical CGT, entre dans l’usine. Des centaines de bleus de travail et de blouses défilent sur des porte-manteaux mobiles. D’autres habits sont pliés dans des chariots sur roulettes et entreposés par des salariés. Les noms de grandes entreprises et d’établissements de santé apparaissent sur les pièces alignées par dizaines sur des cintres. « Ici, on traite 50 tonnes de vêtements, de draps et de tapis par an. On peut aller jusqu’à 70 tonnes. C’est une usine très rentable », expliquent le magasinier Abdel Belghache, délégué CGT, et son collègue de la CFDT, responsable hygiène. Bruce relativise : « Aujourd’hui, on tourne à 30 % de nos capacités. C’est deux heures, trois heures de travail par jour, pas plus, alors qu’on a eu plus de mille clients ! » Des machines sont arrêtées et certains salariés s’occupent comme ils peuvent. « Ils ont déplacé des clients des pôles santé sur d’autres sites, par exemple à Épinay-sous-Sénart. On est là pour être payés, mais on n’a pas de boulot. Pourtant, il y a encore quelques mois, l’usine tournait bien », se désole Josette, agent de maîtrise. « Ici, 80 % des salariés ont un salaire à peine supérieur au Smic, assurent Abdel Belghache et deux autres syndicalistes. Mais les cadres gagnent beaucoup plus, environ 5 000 euros. »

Vermeer Capital Partners, qui est entré dans le capital du groupe RLD en 2013, fait partie de ces nombreux fonds dits de « retournement ». Ces investisseurs misent sur la reprise d’entreprises en difficulté mais « rentables » et disposant « d’un fort potentiel de développement », comme l’indique Vermeer Capital. Ce fonds compte dans ses rangs un certain Michel Bon, ancien PDG de Carrefour et de France Télécom, deux groupes dont les salariés ont gardé un très mauvais souvenir de sa gestion. RLD est pour sa part entre les mains de fonds d’investissement depuis 2006, avec Sagard et Vermeer. L’entreprise a été rachetée par le biais d’un montage en LBO (Leverage Buy Out), qui contraint l’entreprise à rembourser l’essentiel de la dette de rachat. La France compte une quinzaine de ces fonds de retournement, lesquels n’ont d’autre objectif que de dégager une plus-value à court terme. Un juteux marché pour lequel le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est une aubaine en période de crise économique.

Sébastien Nkounkou, qui travaille à l’expédition, attend avec inquiétude la réponse de la direction régionale du travail, laquelle doit étudier la validité du plan social dans une quinzaine de jours : « On a créé une famille ici. On se connaît tous. Se séparer, cela fait mal au cœur. » Bisa Pavic, 63 ans, parvient à garder le sourire. Elle raconte, tout en pliant des blouses : « Je suis arrivée de Serbie en 1972. Cela fait quarante ans que je travaille aux Lilas. J’habite à côté et je n’irai pas travailler ailleurs. » Elle fait allusion au plan de sauvegarde l’emploi (PSE), qui propose une mutation à 62 salariés, 10 autres devant être licenciés. « La moitié des employés sont âgés de plus de 50 ans et un tiers ont plus de 20 ans d’ancienneté, relève Mathieu Agostini, conseiller municipal du Parti de gauche aux Lilas. Proposer une mutation sur un site très éloigné ou des primes dérisoires au déménagement revient à parler d’un plan de licenciements déguisé. » Le transfert d’activité « est envisagé sur les sites des Mureaux, du Plessis-Pâté, d’Épinay-sous-Sénart et de Châtenay-Malabry », indique l’intersyndicale. Danièle, agent de production, 38 ans « de boîte et de bons et loyaux services », ne se voit pas sur un autre site : « C’est loin. Il y a trois heures de transport. À 59 ans, ce n’est pas envisageable. » Abdel Belghache ajoute : « On ne va pas se leurrer. Regardez l’état du marché du travail aujourd’hui ! C’est quasi impossible pour nous de retrouver du boulot. » « Le PSE est très loin du minimum légal, renchérit Mathieu Agostini.

Un employeur qui ferme un site a le devoir de le revitaliser et de verser une prime par emploi supprimé à la collectivité. C’est un levier important dans la lutte contre la fermeture de la blanchisserie que d’imposer à l’employeur de contribuer à cette revitalisation. Le maire devrait agir en ce sens. » « Nous n’avons aucune information de la direction. Nous savons juste que d’autres sites sont menacés », complète Bruce Kalonji. « Le PDG a annoncé qu’il appliquerait une réduction d’effectifs de 15 % au sein du groupe RLD », ont appris les syndicalistes lors d’un comité de groupe. Et le « patron voyou a décidé de s’attaquer au site des Lilas » après la perte d’un gros client, le groupe Accor, « perte qui n’avait pas spécifiquement d’impact sur le niveau d’activité du site », relève Daniel Guiraud, maire PS des Lilas, qui a demandé à la direction du groupe le « maintien des activités et des emplois du site RLD aux Lilas ». Dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, Daniel Guiraud et le président PS du conseil général de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, évoquent un « sabordage industriel » et s’étonnent de la décision de fermer le site, « devenu peu rentable en seulement quelques semaines ». Le ministre de l’Économie s’est contenté ** de renvoyer le dossier au commissaire au redressement productif de la région, « afin d’examiner les solutions qui pourront être envisagées », une réponse qui n’a pas convaincu les salariés et les élus locaux. « Les financiers ont mis la main sur cette activité économique et agissent à l’opposé de la réalité industrielle du site. Il faut savoir que, parmi les clients déplacés vers d’autres sites de RLD, il y a par exemple la maternité des Lilas et des collectivités », réagit Mathieu Agostini.

La fermeture du site serait aussi un coup dur pour la commune : avec 72 salariés, la blanchisserie, qui existe depuis plus de quatre-vingt-dix ans, est le troisième employeur industriel de la ville après les ateliers de la RATP et Drieux-Combaluzier, une société d’ascenseurs. « Ce serait une vraie casse sociale, car les ateliers de la RATP vont être déplacés et l’entreprise Drieux est en difficulté financière », reprend Mathieu Agostini. En trois mois de grève, d’interpellation des pouvoirs publics, de campagne de pétition, de manifestations, les salariés ont utilisé tous les moyens pour se faire entendre. Fin janvier, à l’appel du comité de soutien, un rassemblement organisé devant RLD a drainé près de 400 personnes. « Il y a aussi une relative unité au conseil municipal, tous bords confondus, sur la question de la défense du site de la blanchisserie aux Lilas. Et toutes les composantes politiques de la ville sont représentées au sein du comité de soutien », souligne Mathieu Agostini. « Nous avons gagné un procès, retardé la fermeture, et nous sommes dans l’attente d’une table ronde avec les pouvoirs publics », espère Bruce Kalonji, qui ajoute : « Nous avons des arguments à faire valoir à l’État, qui a versé 4 millions d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en deux ans, ce qui lui donne un droit de regard sur la stratégie du groupe RLD. » Le CICE, « un cadeau fait au patronat, sous prétexte d’emplois, sert en réalité à financer les licenciements. Rappelons que le site des Lilas est rentable ! », insiste Mathieu Agostini.

Surtout, les salariés de RLD pointent le « scandale » que représente la fermeture du site, « qui cache une stratégie concernant l’ensemble des salariés de RLD ». Le site de Villepreux (Yvelines) devrait aussi fermer ses portes, annonce l’union locale CGT de Bagnolet-Les Lilas. « Cette stratégie, nous l’avons déjà vue à l’œuvre dans le sud de la France, où le site de Sanary  (Var) a été vendu à Elis », géant européen coté en Bourse, dénoncent les salariés des Lilas. Pour eux, tout porte à croire que l’objectif de Vermeer Capital est de vendre des sites à la concurrence. « Le CICE ne peut servir à vendre notre entreprise à la découpe ! », résume un tract collé devant une des entrées de la blanchisserie industrielle. Un slogan que le gouvernement devrait méditer.

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