Une OPA sur la maternité des Lilas ?

Le ministère et l’Agence régionale de santé soutiennent un projet d’adossement de la maternité des Lilas à une clinique privée cependant qu’un groupe d’exploitants entend assurer la gouvernance.

Ingrid Merckx  • 3 avril 2015
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Une OPA sur la maternité des Lilas ?
© Photo: Manifestation de protestation devant le Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, le 9 mars 2015 (ERIC FEFERBERG / AFP).

Enfin une issue ? Après cinq ans de lutte pour défendre son projet de reconstruction, la maternité des Lilas voit se profiler une sortie de crise. Mais à quel prix ?

« La Ministre de la Santé vient, après de longs mois d’hésitation, de soutenir sans ambiguïté cette reconstruction sur un terrain appartenant à la Clinique Floréal sur la commune de Bagnolet (limitrophe des Lilas), déclare le personnel de la maternité dans un communiqué publié le 24 mars. Madame Marisol Touraine s’est engagée également à soutenir l’activité de notre établissement pendant les années de reconstruction. »

Le 9 septembre 2014, le projet de reconstruction à l’hôpital de Montreuil (93) de cette maternité, dont les locaux ne sont plus adaptés, a été abandonné. Après avoir examiné ce projet soutenu par l’Agence régionale de santé (ARS), le personnel s’est prononcé contre à l’unanimité, malgré l’absence de projet alternatif.

« Depuis septembre, nous étions dans un statu quo délicat, avec un personnel épuisé et des conditions de travail difficiles. », témoigne Marie-Laure Brival, gynécologue, chef de service à la maternité et directrice par intérim.

En octobre, le conseil d’administration (CA) de la maternité a accueilli un nouveau vice-président, Jean-Claude Hirel, qui a remis en janvier une proposition de restructuration à Marisol Touraine. À la suite de quoi, le 11 mars, la ministre est revenue vers le personnel des Lilas pour lui proposer un nouveau projet.

Illustration - Une OPA sur la maternité des Lilas ? - Marie-Laure Brival (photo: Michel Soudais)

« Nous avons trois mois pour examiner la reconstruction sur le terrain appartenant à la clinique privée Floréal à Bagnolet. Il n’est pas question d’association avec cet établissement, mais d’adossement administratif et de partage de plateau technique. A priori notre indépendance serait respectée et la maternité pourrait poursuivre son activité médicale telle qu’elle la conçoit , précise Marie-Laure Brival. Ce serait un compromis qui nous obligerait à faire le deuil de notre projet initial sur le site de Gütterman aux Lilas. Il nous faut examiner encore tous les détails de ce projet. Rien n’est joué. »

La clinique Floréal est un établissement privé qui compte 141 lits, un service d’urgence et un bloc opératoire, ce qui permettrait de mutualiser des activités.

La démission le 18 mars de la présidente du CA des Lilas, Madeline Da Silva, porte-parole du collectif qui défend la maternité, jette un trouble dans cette actualité.

« Le projet Floréal nécessite d’être étudié, assure celle-ci. Mais l’adossement à une structure privée lucrative alors que notre association défend un projet médical emblématique de la défense du droit des femmes, avec une philosophie fondée sur le respect de la naissance depuis plus de trente ans, pose question. »

Un nouvel arrivant, Docte Gestio, à la gouvernance

Surtout, le projet Floréal soutenu par le ministère et l’ARS, convaincus qu’une maternité de niveau 1 ne peut plus survivre isolée, intervient alors qu’un groupe privé, Docte Gestio, s’apprête à faire son entrée au CA de la maternité. CA où il souhaite être majoritaire pour assurer la gouvernance.

« Celle-ci était en déshérence et avait besoin d’aide », admet Madeline Da Silva. Mais en quoi cet investisseur privé qui intervient dans les domaines du médico-social, de la santé, de l’hôtellerie et de l’immobilier, est-il intéressé par cet établissement privé d’intérêt collectif (ESPIC) exploité par l’association Naissance ?

Illustration - Une OPA sur la maternité des Lilas ? - Vue extérieure de la Maternité des Lilas (ERIC FEFERBERG / AFP)

Jusqu’en août 2014, la maternité était adossée à un autre ESPIC, le groupe hospitalier des Diaconesses-Croix Saint Simon. Une association qui avait reçu l’aval du personnel du fait de la proximité des deux établissements, et aussi de l’ARS. Mais les Diaconesses ont finalement jeté l’éponge.

« Nous sommes des exploitants, explique Bernard Bensaid, PDG de Docte Gestio. Nous gérons des hôtels et des résidences étudiantes, des établissements pour personnes âgées (EHPAD et EHPA) et deux centres de santé dont le Centre santé média à Montreuil, racheté à une mutuelle. Notre spécificité, c’est la reprise d’établissements en difficultés. Notre objectif : restructurer l’offre de santé en Seine-Saint-Denis où le nombre de lits est excédentaire. Avec la tarification à l’activité actuelle, une maternité comme les Lilas est structurellement déficitaire. Elle est condamnée à perdre de l’argent. Il faut restructurer. »

Quatre projets sont à l’étude : le projet initial défendu par le personnel des Lilas, le projet Floréal, un adossement à une autre clinique privée candidate, et un quatrième projet prévoyant un regroupement de plusieurs établissements sur un nouveau terrain pour créer un « très gros centre » médical incluant les Lilas.

Autre spécificité de Docte Gestio, qui avance un chiffre d’affaires de 152 millions d’euros : associer le privé lucratif avec le non lucratif. Le groupe se réclame de l’économie sociale et solidaire jusque dans le privé lucratif.

« Nous ne sommes pas les premiers à le faire. Là où nous sommes pionniers, c’est dans le mélange des genres : équilibrer le lucratif et le non lucratif permet d’absorber les risques. Dans un monde incertain, il faut avancer avec le maximum de flotteurs. », poursuit Bernard Bensaid.

Le PDG de Docte Gestio assure qu’il n’est pas question de remettre en cause le projet médical des Lilas et que l’entrée de son groupe au CA ne se fera qu’avec l’accord de la majorité du personnel.

« Nos précédents, comme le centre de santé à Montreuil ou la clinique Vauban à Livry-Gargan sont à l’équilibre un an après la reprise. Nous avons repris presque l’ensemble des collaborateurs, et sommes même en situation d’embaucher aujourd’hui. »

«Assurer le redressement»

Docte Gestio ne mettrait pas d’argent sur la table dans un premier temps.

« Les Lilas ne sont pas en situation de redressement judiciaire mais de déficit. L’idée, c’est d’assurer le redressement avec le personnel, les tutelles, les élus et les financeurs. »

Et d’ajouter :

« Les Lilas conserveront leur approche très humaine de la maternité mais en mutualisant des services d’anesthésie, de laboratoires, etc., avec d’autres. »

« Le groupe Diaconesses-Croix Saint-Simon avait également exigé d’être majoritaire au CA, souligne Marie-Laure Brival. Nous avons connu sept directeurs depuis 2013. Nous accusons un déficit de 3 millions d’euros. Il nous faudrait le faire descendre à 2 millions, 2,5 millions. Nous sommes dos au mur. »

Le personnel a déjà voté en faveur de l’arrivée de Docte Gestio. Bernard Bensaid assure que le groupe est « très excité par la maternité des Lilas » : « On n’attend plus que le feu vert des administrateurs. »

Marie Laure Brival admet qu’un repreneur public aurait été a priori plus en accord avec les valeurs défendues par l’équipe :

« Mais ils ne se sont pas bousculés !, s’exclame-t-elle. Nous avons refusé le projet avec l’hôpital de Montreuil, qui ne nous convenait pas. Nous n’avons cessé de nous battre contre quiconque voudrait modifier notre projet médical tourné vers la physiologie. Nous pensons être en mesure de résister à une direction qui ne partagerait pas nos valeurs. Pour le reste, c’est une prise de risque. » , concède-t-elle.

Et Docte Gestio n’a pas de concurrent déclaré.

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