Un été en fanfare

Eyo’nlé, un brass band inclassable à découvrir de toute urgence sur les routes (f)estivalières…

Lorraine Soliman  • 16 juillet 2015 abonné·es
Un été en fanfare
© **Empreinte du père** , Irfan, le label, 2015 Informations tournée : www.eyonle.com/concerts Photo : Jean Berry

Il existe deux sortes de pochettes d’album (CD) : celles que l’on regarde attentivement avant, et encore plus après avoir écouté la musique ; et les autres, qui affichent généralement un sourire béat et ne disent pas grand-chose sinon rien de l’objet sonore. Avec Empreinte du père, la fanfare Eyo’nlé –  réjouissez-vous en yoruba – s’inscrit résolument dans la première catégorie. Assis sur un fil orné de fanions multicolores (« l’esprit guinguette »), les huit musiciens sont comme suspendus entre deux mondes : en arrière-plan, on devine la grande ville, Paris, et son icône métallique, fondue dans un décor de savane emprunté au Bénin, leur pays natal. Dessus-dessous, quelques palmiers à huile et nos musiciens pris en contre-plongée, costumes châtoyants, baskets et godillots vagabonds, cuivres pointés vers le ciel : ça joue, ça chante, du feu de dieu. « La fanfare est une tradition ancienne au Bénin, explique Mathieu Ahouandjinou, fondateur de l’orchestre, bugliste et arrangeur. Tout est parti des fanfares militaires qui étaient très présentes bien avant le temps des colonies. À un moment donné ces musiciens ont commencé à jouer des rythmes traditionnels avec les instruments de la fanfare militaire. La religion chrétienne s’en est mêlée. C’est comme ça que la fanfare est devenue très populaire au Bénin et sur toute la côte ouest africaine.  »

Formé à l’« école » plus moderne du jazz-band, à Cotonou, Mathieu Ahouandjinou ambitionne non seulement de remettre la fanfare au goût du jour, mais surtout de faire évoluer cette tradition afin d’attirer une jeunesse captive du marché euro-américain. «   Il s’agissait de développer un style de musique que personne ne connaît en reprenant des rythmes et des chants traditionnels avec des arrangements jazzy pour le côté festif », raconte-t-il. C’est ainsi qu’Eyo’nlé voit le jour en 1998, « brass band à la béninoise  » et à l’esprit résolument libre. La musique d’Eyo’nlé est également le fruit d’une longue recherche au cœur des villages du Bénin profond, jusque dans les couvents à la conquête des rythmes et des instruments vodou. Gagner la confiance des maîtres de musique n’est pas chose facile quand on n’est pas un initié. «   Un chrétien qui fréquente les couvents, ça peut être mal vu. Mais nous, c’est l’aspect culturel de cet endroit qui nous attire, et nous respectons beaucoup cette religion. » Une démarche quasi-scientifique en somme, récompensée par un certain nombre d’autorisations spéciales à jouer tel ou tel rythme, tel ou tel instrument, par exemple « le tambour agba, que l’on nous a permis d’exporter pour en jouer dans la rue   ». À partir de 2005, Eyo’nlé s’exporte, principalement vers l’Europe, et gagne par la même occasion la reconnaissance du public béninois, tous âges confondus. Le monde de la fanfare s’intéresse de près au travail pionnier de ses musiciens. Le milieu s’en trouve revivifié : « Aujourd’hui, on compte environ six mille musiciens de fanfare au Bénin, la plupart sont actifs. Nous avons pu le vérifier lors d’un rassemblement que nous avons organisé en février dernier à Porto-Novo. Toutes les fanfares de toutes les régions sont venues participer à la fête malgré la pluie ! »

Le monde de la fanfare est encore très informel au Bénin, et si le genre commence à recevoir le soutien de certaines instances officielles (mairies, ministère de la Culture), c’est en grande à partie à la famille Ahouandjinou qu’il le doit : «  Le siège des cuivres [de la fanfare, NDLR], au Bénin, c’est chez mon papa, que l’on surnomme “Caïman”  », explique Mathieu Ahouandjinou. C’est là, à Porto-Novo, que la première édition du festival Musicaravane aura lieu, en février 2016, visant à réunir des fanfares du monde entier. Là encore, il s’agira d’attirer tous les publics «  et de faire de la fanfare un moyen de communication et d’information de la jeunesse  ». Un sacré défi, mais loin d’être insurmontable quand on s’appelle Eyo’nlé et que l’on est capable de s’approprier Gainsbourg et Brassens sans frôler un instant le ridicule, au contraire. Écoutez donc « le Poinçonneur des Lilas » boosté au rythme dogon pour vous en convaincre… Celles et ceux qui les ont ratés en première partie de la tournée des vingt ans des Ogres de Barback en 2014 peuvent se rattraper cet été, d’Alba-la-Romaine (07) à Fleurance (32) en passant par La Bourboule (63) et Saint-Jean d’Angely (17) : la route d’Eyo’nlé est longue, sa tournée française aussi !

Musique
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